Le coffre à jouets verrouillé (extrait). Stéphane Clerget, 2015


 

[Stéphane Clerget s’élève contre les produits stéréotypés (couleurs, jouets, habits, etc.) qui sont attribués artificiellement aux enfants en fonction de leur sexe. Il tient le même raisonnement que les féministes : ces produits rétrécissent les potentialités de l’enfant, en les excluant des champs arbitrairement réservés aux enfants de l’autre sexe. Mais il s’en distingue en diagnostiquant que les premières victimes de ce système sont les garçons : sortir des stéréotypes est toléré pour les filles, mais pas pour eux...]

 

LE COFFRE A JOUETS VERROUILLE (extrait)

 

Ainsi, la lecture des catalogues de Noël montre que certaines dichotomies sont aussi genrées qu’irréconciliables. On peut considérer qu’ils reflètent une réalité sociale et constater qu’ils contribuent à imposer un univers genré et stéréotypé des inégalités hommes-femmes. Garçons et filles n’auraient pas les mêmes potentiels. En reproduisant ces univers différenciés, les spécialistes du jouet participent de l’intériorisation d’une réduction des modalités expressives, notamment chez les garçons. Ceux-ci apparaissent en général exclus des activités d’intérieur, des domaines liés à la sécurité et à la petite enfance (poupons), du champ de la coopération. Ils sont poussés vers l’extérieur, vers les prises de risque et la compétition, tandis que le masculin est associé à l’agressivité, au refus de la tendresse, à la limitation des émotions, à l’insensibilité artistique et au dépassement de soi.

Ce clivage sexué se retrouve dans les comportements parentaux qui, dès la naissance de l’enfant, font des choix de décoration, d’habillement , d’accessoires illustrés. Et les agents périphériques de la socialisation (jouets, habits, sport, livres, publicité...) sont eux aussi devenus de plus en plus sexués, et de plus en plus précocement. Ce phénomène s’internationalise avec la mondialisation où le "made in China" domine largement le marché. Autrefois, l’identité des enfants était indifférente ou libre environ jusqu’à l’âge de raison, puis ils se différenciaient les uns des autres. Désormais, c’est beaucoup plus tôt qu’on les différencie. On peut interpréter ce constat comme la réaction à un monde qui n’est plus dichotomisé, comme il le fut pendant des siècles, dont les écoles sont devenues mixtes et les programmes scolaires communs, dont les secteurs professionnels se sont ouverts aux femmes, un monde qui cherche désormais à établir la parité et une autorité parentale conjointe. Ce n’est pas sans influence sur la construction identitaire des enfants puisque le noyau dur de la personnalité se construit les premières années. Les enfants, et en particulier les garçons, font les frais de cette angoisse qui saisit la société face à l’instauration de la parité. Le verrouillage des jouets n’est donc pas que le produit d’une vision stéréotypée des fabricants. Ils sont le reflet des stéréotypes des acheteurs. Et le choix des jouets achetés pour les enfants véhicule très largement ces stéréotypes : les parents qui achètent un jeu de construction pour leur fille sont bien plus nombreux que ceux qui offrent un poupon à leur fils. Si les jouets traditionnellement dits masculins sont tolérés pour les petites filles, les jouets traditionnellement féminins sont prohibés pour les garçons. Le champ des possibles apparaît plus ouvert pour les filles.

 

Extrait de Le coffre à jouet verrouillé, dans Nos garçons en danger (chapitre 16, p. 210-11). Stéphane Clerget. Flammarion, 2015



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