« Polytechnique a changé mon féminisme » : Louise-Marie Lacombe raconte. Hufftington post, 29-11-14


 

[Le massacre de Polytechnique fut incontestablement d’inspiration misogyne. De manière totalement irrationnelle et indécente, les misandres québécois (et d’autres pays) l’exploitent pour diaboliser les hommes en général, comme si l’acte d’un déséquilibré masculin était représentatif de tous les individus du même sexe. Mais le tueur Marc Lépine n’était en rien représentatif des hommes en général.

Il est réconfortant de lire le témoignage d’une femme, féministe revendiquée, qui a vécu le massacre dans sa proximité et qui en tire la leçon inverse : le massacre a fait souffrir les hommes autant que les femmes ; s’il en était besoin, les hommes ont montré en l’occurence qu’ils sont les amis des femmes ; si l’on se préoccupe de la condition féminine, il est nécessaire de se préoccuper tout autant de la condition masculine. Même si elle n’emploie pas le mot, cette femme a tout simplement transformé son féminisme... en hominisme.]

 

« Polytechnique a changé mon féminisme » : Louise-Marie Lacombe raconte

Louise-Marie Lacombe a été ambulancière pendant 20 ans. Elle commençait sa carrière dans ce milieu très masculin lorsque la tuerie de Polytechnique est survenue. L’événement a bouleversé ses collègues autant qu’elle. Et ce dont elle a été témoin a profondément modifié sa façon d’être féministe.

Un texte de Myriam Fimbry

En 1989, Louise-Marie Lacombe étudiait en criminologie et travaillait comme ambulancière. Très féministe, elle se souvient avoir reçu des menaces de se faire casser les deux jambes parce qu’elle voulait enlever les photos de femmes nues qui décoraient les murs des garages d’Urgences-santé.

Le 6 décembre en après-midi, lorsque la tuerie a eu lieu, elle n’était pas en service. Elle travaillait de nuit. Lors du changement de quart de travail, elle a vu arriver ses collègues ambulanciers démolis. Ils avaient vu des scènes d’horreur. C’était un événement vide de sens. Ils se demandaient comment un homme avait pu tirer sur des femmes. Et ils se sentaient impuissants de ne pas avoir pu intervenir plus vite.

Louise-Marie Lacombe connaissait un ambulancier qui était sur place au moment du drame. Il est entré dans la classe pour donner les premiers soins. Trois ans plus tard, il a décidé de mettre fin à ses jours. « Des hommes sont morts aussi, à cause de Polytechnique », souligne-t-elle. « Ce n’était pas la seule cause peut-être, mais on ne peut pas ignorer le traumatisme que ça a causé, à ceux qui étaient en dedans et qui n’ont rien pu faire. »

« Il était le seul ambulancier à l’intérieur avant même que tout le monde arrive, parce qu’il était étudiant à l’université. Il était en cours cette journée-là. [...] Combien de minutes d’enfer il a vécu seul à l’intérieur alors qu’il y avait plus d’une dizaine de femmes [...], des femmes qu’il connaissait probablement. » — Louise-Marie Lacombe

Déchirement

Pour les féministes, la tuerie de Polytechnique a été un déchirement. L’acte meurtrier était sciemment dirigé contre elles, à travers les 14 jeunes étudiantes promises à un brillant avenir, tombées sous les balles. « Cette journée-là, en tant que féministes, on a été marquées au fer rouge. »

« On était déchirées au point où on regardait nos conjoints, et il y avait cette espèce de malaise entre hommes et femmes qui venait de se recréer. » — Louise-Marie Lacombe

Elle se souvient d’une vigile, organisée juste après le drame. « Des hommes ont voulu marcher à nos côtés. Des femmes les ont repoussés en disant : "On vient de tuer des femmes, c’est un combat féministe, t’as pas d’affaire là". Cette journée-là, moi, je suis partie de la vigile. Parce que je me disais : "Les hommes qui veulent marcher à la vigile ce soir sont ceux justement qui ont accepté les femmes, à côté d’eux sur les bancs d’école. Ils veulent marcher pour les mêmes choses que nous." »

Lutter avec les hommes

Pour Louise-Marie Lacombe, c’est l’étincelle qui l’a fait évoluer vers un féminisme teinté de masculinisme (soit un féminisme qui se préoccupe aussi de la condition masculine). Après la vigile, elle ne se reconnaissait plus dans un féminisme pur et dur, qui exclut les hommes de ses rangs : « Est-ce qu’on peut arrêter de dire qu’on est rose ou bleu ? Est-ce qu’on pourrait être mauve ? »

« Bien sûr, dit-elle, il y a encore beaucoup de travail à faire pour atteindre l’égalité entre les hommes et les femmes. Le combat est loin d’être fini, il faut le continuer. Mais il faut le continuer avec les hommes. »

« Est-ce qu’on peut arrêter de faire du féminisme un bastion strictement féminin ? » — Louise-Marie Lacombe

Vingt-cinq ans plus tard, elle regarde la télévision et trouve que les hommes sont rabaissés, entre autres dans la publicité. « On les fait passer pour de parfaits idiots. » Les publicitaires ne se permettraient pas de le faire avec les femmes, les Noirs, les gais...

Elle pense que les femmes ont besoin d’hommes fiers de leur masculinité. C’est pourquoi elle a travaillé ces dernières années à faire des recherches sur... le pénis. Devenue journaliste indépendante et auteure, elle vient de publier un livre sous forme de questions-réponses, Le Zizi quiz, et planche sur un autre ouvrage qui traitera de féminisme et de masculinisme.

« Je ne suis pas pour autant moins féministe, au contraire. Je le suis plus que je ne l’ai jamais été. On veut l’égalité. L’égalité ne se fait pas sur le dos d’un autre », conclut-elle.

Par Radio-Canada.ca et Le Hufftington Post (Québec)
29/11/2014

http://quebec.huffingtonpost.ca/2014/11/29/-polytechnique-a-change-mon-feminisme-_n_6240260.html



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