Analyse : L’étude multipays de l’OMS sur la santé des femmes et la violence domestique à l’égard des femmes, 2005


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Analyse de l’Etude multipays de l’OMS sur la santé des femmes et la violence domestique à l’égard des femmes : premiers résultats concernant la prévalence, les effets sur la santé et les réactions des femmes : rapport succint. 2005

 

Le texte est en ligne sur le site de l’OMS :

http://www.who.int/fr > Thèmes de santé > Violence sexiste

ou http://www.who.int/topics/gender_based_violence/fr/

Caractéristiques : 24000 femmes interrogées dans dix pays (Bangladesh, Brésil, Ethiopie, Japon, Namibie, Pérou, Tanzanie, Samoa, Serbie, Thaïlande) sur leurs relations avec leur(s) partenaire(s) intime(s), actuel ou ancien(s) - une partie de l’étude est menée dans la capitale ou une grande ville, l’autre dans une province ou région - il s’agit d’un premier rapport concernant la prévalence, les effets sanitaires, les stratégies d’adaptation : le suivant concernera les facteurs de risque et de protection.

 

Notre analyse

L’étude, une fois encore, a un point de départ sexiste. On peut lire p.13 l’encadré 1.1 avec le texte suivant :

L’étude de l’OMS devait à l’origine porter aussi bien sur les hommes que sur les femmes. (...) Mais l’on s’est aperçu que le fait d’interroger les hommes et les femmes d’un même ménage risquait d’exposer les femmes à de nouvelles violences. L’alternative - réaliser le nombre équivalent d’entretiens dans d’autres ménages en ayant recours à une équipe distincte d’enquêteurs masculins - était trop coûteuse compte tenu des ressources financières de l’étude. L’expérience des hommes en matière de violence exercée par un partenaire est néanmoins une question importante, qui mérite d’être étudiée à l’avenir.

...lequel texte est littéralement hallucinant. Interroger hommes et femmes d’un même ménage peut susciter des vengeances, c’est vrai, mais pourquoi dans un seul sens ? Les femmes ne sont pas susceptibles de se venger des hommes ? Surtout : enquêter sur les victimes hommes serait "trop coûteux" ? Pour les femmes, on a les moyens, pas pour les hommes ! Il n’est pas possible de répartir autrement le budget, par exemple en diminuant le nombre de pays ? Cela est d’autant plus choquant que la partie "Recommandations" (partie 6, p.38) insiste sur l’ " urgence " de prendre des mesures en faveur des victimes femmes. Mais pour les victimes hommes, il n’y a pas urgence (alors qu’il ne disposent quasiment pas de services d’aide, dans quelque pays que ce soit) ? Pourquoi ne méritent-ils d’être pris en considération qu’"à l’avenir" ?

...lequel texte manifeste aussi des résistances importantes à l’idéologie misandre :

- habituellement les rédacteurs de ce genre d’étude ne prennent même pas la peine de justifier leur choix sexiste, comme s’il allait de soi

- et surtout n’écrivent pas que les violences conjugales contre les hommes sont "une question importante".

- la méthodologie est par certains aspects plus rigoureuse que dans d’autres enquêtes, par d’autres aspects elle l’est moins. On devine que les concepteurs ont été contraints de tenir compte des critiques exprimées contre la méthodologie des enquêtes-bidon comme l’ENVEFF. Ainsi, les questionnaires s’efforcent de ne porter que sur des faits de violence objectivables.

 

Trois réserves à formuler

- p.17, l’un des comportements définissant la violence sexuelle subie est "avoir peur des rapports sexuels parce qu’elle a peur de ce que pourrait faire son partenaire". Avoir peur de quelque chose qui n’est pas arrivé = attitude complètement subjective

- p.15, dans le paragraphe "Sélection et formation des enquêteurs" (en fait des enquêtrices), on apprend que celles-ci ont été choisies entre autres à cause de leur capacité à l’"empathie". Dans le paragraphe "Recommandations éthiques et de sécurité", on apprend à propos des victimes qu’"elles étaient souvent profondément reconnaissantes d’avoir eu la possibilité de raconter leur histoire à une personne qui ne les jugeait pas et manifestait au contraire de l’empathie pour elles". Or l’attitude "empathique" est à double tranchant : elle peut libérer une parole enfouie, mais elle peut aussi inciter à l’exagération (par vengeance, par souci de susciter la compassion, etc.).

- surtout, et nous l’avions déjà dénoncé à propos de l’enquête Marie-Claire-Ipsos, l’étude porte sur toute la vie des questionnées avec un ou des partenaires (et non sur l’année antérieure, ou x années antérieures comme dans la plupart des enquêtes). Les résultats deviennent très variables en fonction de l’âge des questionnées : plus elles sont âgées, et plus elles risquent d’entrer dans le pourcentage (or nous n’avons trouvé aucune information sur cette variable). Finalement, on ne sait pas sur quelle période portent les résultats, et on ne pourra donc pas les comparer avec ceux des études suivantes.

 
Les résultats sont donc peu signifiants

Le pourcentage de victimes est très variable selon les pays, mais de toute façon très élevé partout, par rapport aux résultats des enquêtes fiables que nous connaissons pour l’Europe et l’Amérique du nord :

* violence physique : de 13% au Japon (ville) à 61% au Pérou (province) - résultat relativisé si on distingue violence modérée (gifler, bousculer, secouer) : 9% Japon et 12% Pérou, et violence grave : 4% Japon et 49% Pérou

* violence sexuelle : de 6% au Japon (ville) à 47% au Pérou (province)

* les deux : de 15% au Japon (ville) à 69% au Pérou (province)

Rappelons que l’enquête ne mesure que des réponses à des questions et non des faits avérés (là aussi les rédacteurs se sont sentis tenus de le mentionner dans l’encadré 1.2 p.16 et c’est un progrès). Compte tenu des trois réserves méthodologiques que nous avons formulées, et surtout de la troisième, ces résultats sont peu signifiants.

En tout état de cause, ils ne permettent aucune extrapolation concernant :

- la thèse selon laquelle "la violence contre les femmes est une manifestation extrême de l’inégalité des sexes"(Recommandation 1, p.38) : comment peut-on dire cela alors qu’on ne prend pas la peine de mesurer les violences contre l’autre moitié de l’humanité ? En l’occurrence c’est plutôt cette moitié-là qui est victime d’un traitement inégalitaire.

- les chiffres concernant l’Europe et l’Amérique du nord : il y a un tel écart entre les résultats des différents pays étudiés qu’on ne peut rien postuler quant à ceux qui ne le sont pas. 

Ce qui est signifiant, en revanche, ce sont justement ces différences selon les pays. Peut-être faut-il admettre que, pour des raisons à préciser, la vie conjugale est (beaucoup) plus violente chez les uns que chez les autres. Ce qui ne remet pas en cause l’idée d’une équivalence quantitative entre violences masculine et féminine. Quand le pourcentage d’hommes victimes sera établi dans tous les pays, on verra sans doute qu’il s’aligne partout sur le pourcentage de femmes victimes. 

 

Patrick Guillot, octobre 2006



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