« Pour en finir avec la femme », de Valérie Toranian : le livre qui bouscule les idées reçues. Elle, 11 octobre 2004


 

« Pour en finir avec la femme », de Valérie Toranian :

le livre qui bouscule les idées reçues (extraits)

 
P.B. Citant les camps nazis, les tortures dans la prison d’Abou Ghraib en Irak, mais aussi le génocide au Rwanda, vous montrez que la femme est capable de brutalité autant que l’homme. Pourtant, les cas de violence féminine sont relativement rares et la femme s’y montre plus complice qu’initiatrice…
 
Valérie Toranian. Regardez les photos de la fameuse soldate américaine Lynndie England, hilare, goguenarde, la clope au bec, avec ses prisonniers irakiens en laisse. Ou Pauline Nyiramasuhuko, la fameuse Hutue, ministre de la Condition féminine, qui a été l’une des responsables des massacres, et organisatrice avec son fils de viols de masse sur des femmes hutsies. Pour ne parler que de ces deux femmes-là. Elles n’ont pas été que complices mais initiatrices aussi. Les femmes ne sont pas que des victimes manipulées. Et la violence n’est pas uniquement d’essence masculine. C’est arithmétique : plus les femmes vont être impliquées dans le pouvoir et plus il y en aura qui commettront des actes de violence. Le fait de donner la vie ne fait pas de nous des êtres meilleurs, ne nous prédispose pas à protéger les persécutés, même si nous sommes tentées parfois de reprendre cette vieille antienne qui nous rassure.
 
P.B. Plus la femme est émancipée et plus elle perd de son innocence ?
 
V.T. C’est pour cantonner les femmes à leur statut de mères qu’on a forgé ce mythe de l’innocence féminine. On leur a dit : vous êtes tellement formidables et exceptionnelles que vous n’allez pas vous rabaisser à ces stupides enjeux de pouvoir. Vous valez mieux que ça. Quelle arnaque !
 
(…)
 
P.B. Vous vous rapprochez d’un féminisme américain qui a abandonné le discours victimaire pour entamer celui du pouvoir : la femme doit quitter les habits de la persécutée pour s’affirmer socialement.
 
V.T. La prise de pouvoir est encore un tabou qu’il faut briser. Etre féministe aujourd’hui, ce n’est pas militer dans les mouvements féministes, c’est investir tous les lieux de pouvoir, professionnels ou politiques. Et pas sous le prétexte absurde qu’il y aurait une façon féminine de faire de la politique ou de diriger une PME. Je n’en crois pas un mot. De même qu’il n’y a pas une manière unique et masculine de faire de la politique, de même il n’y a pas de programme commun des femmes pour changer le monde. L’universel est à la fois masculin et féminin. Une femme dans un poste important se dit toujours : est-ce que je suis prête à la compétition, au rapport de force, à tous ces « trucs d’hommes fous de pouvoir » ? Ca arrange bien les hommes finalement que l’on ait cet espèce de surmoi , ces scrupules. Ils veulent nous confiner à l’harmonie personnelle, privée, émotionnelle. C’est un piège redoutable : il faut cesser de diaboliser le pouvoir car c’est un permis de construire, de créer, d’innover, d’agir.
 
Propos recueillis par Pascal Bruckner
Elle, 11 octobre 2004, pp. 159-161
 
 
[Valérie Toranian est directrice de rédaction à Elle et auteur de Pour en finir avec la femme, Grasset, 2005, dont voici des passages intéressants :]
 
p.22
Les femmes sont de bonnes candidates à la logique de victimisation (…)

Ensuite parce que prolonger cette position comporte des avantages. Je suis victime donc j’existe. J’apitoie, je dénonce, je menace. De ma pleine souffrance, je fais ma condition. Pour certaines féministes, ce statut est presque l’équivalent d’une définition. L’histoire de la femme est l’histoire de sa domination par l’homme. C’est donc de cette place de victime qu’elle parle et qu’elle exige reconnaissance pour son sexe. C’est ce qui fonde sa différence et son droit à la différence. N’est-il pas dangereux de se déterminer au nom d’un statut discriminant intériorisé ? Ne vaut-il pas mieux se battre pour s’extraire du statut de victime mais aussi du discours de victime ? Et préférer se faire respecter plutôt que de se faire plaindre ?

 

pp.45-47

Il faut, et c’est beaucoup plus ambitieux, en finir avec l’essentialisme de « la femme », sa représentation angélique, sa construction idéologique. Et ce n’est pas simple. Le mouvement féministe lui-même s’est bâti sur cet acte de foi. Hubertine Auclert, féministe rebelle du XIXe siècle, qui refusa de payer ses impôts en 1848 car le suffrage « universel », tout juste voté, avait glorieusement oublié les femmes, proclamait dans sa revue que lorsque les femmes auront des droits civiques, « la sollicitude maternelle embrasera la terre entière (7) ! ». Le mouvement féministe de l’entre-deux guerres était majoritairement pacifiste et le slogan le plus populaire de ses militantes était : « Si les femmes votaient, il n’y aurait pas de guerre. » Ou bien « créatrices de la vie, défendons-la ! ».

Aujourd’hui encore, d’étranges discours viennent nous confirmer que le mythe a la vie dure et qu’il constitue même un véritable « front de la différence » qui souhaite faire valoir, d’abord et toujours, la spécificité exemplaire des femmes. Comme ce mouvement « éco-féministe » en Inde, qui célèbre les femmes et la nature dans un double élan et condamne l’exploitation de la forêt par l ‘homme. La nature et la femme, toutes deux ventres nourriciers, victimes de l’homme, sont réunies au nom d’une similitude, d’une même fonction créatrice et reproductrice pour sauver la planète (8).

Le mythe de l’innocence est dangereux parce qu’il définit une femme hors des réalités, enfermée dans sa propre essence, dans ses propres représentations toxiques, incapable de se penser librement. Cette « grâce de la naissance » nous spécifie, nous catégorise, donc nous exclut. A chaque fois que nous mettons en avant notre différence en tant qu’elle nous prédispose à penser ou à agir de façon singulière, nous sommes dans le faux. Bien évidemment les différences existent entre les hommes et les femmes. Il ne s’agit pas de fantasmer sur la disparition des sexes où l’émergence d’un nouveau monde androgyne. Mais ces différences sexuelle, physiologique, psychologique, ne constituent pas notre condition.

Nous ne sommes pas notre différence.

La femme n’est pas son sexe.

Elle a un sexe. 

(7) Le masculin, le sexuel et le politique, par Armelle Le Bras-Chopard, Paris, 2004

(8) Le mouvement des femmes en Inde, par Stéphane Tawa Lama-Rewal, Le siècle des féminismes, éd. de l’Atelier, Paris, 2004 


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