Michelle Perrot : "La laïcité, un atout pour les femmes" (extrait). Valeurs mutualistes, n°231, mai 2004


 
[Nous souscrivons tout à fait à l’analyse de l’historienne féministe Michelle Perrot . Elle montre ci-après comment, au début du XXe siècle, alors que le mouvement des femmes était balbutiant, c’est l’action d’un certain nombre d’hommes qui, instaurant la laïcité et l’accès égal des deux sexes à l’école, a fait faire des pas de géant à la condition féminine.]
 
 
Michelle Perrot : "La laïcité, un atout pour les femmes" (extrait)
 
V.M. : Peut-on considérer que les trois grandes religions monothéistes constituent un frein à l’évolution de la condition féminine ?
 
M.P. : Oui, dans la mesure où elles sont construites sur l’idée de la domination masculine. Les femmes ont des difficultés à parvenir au sacré, qui est porté par les hommes dans toutes ces religions. Ce n’est pas pour rien qu’elles ne font pas le culte... même s’il y a maintenant des accommodements. Néanmoins, le christianisme a reconnu la femme comme une personne. Le protestantisme a pour sa part constitué une brèche dans l’accès au savoir et à la parole. On imagine d’ailleurs mal le rôle que celui-ci a joué dans le féminisme français ! Et ce féminisme protestant était laïque, d’autant qu’il était très reconnaissant de l’intégration des protestants - et des juifs - par la laïcité, sous la IIIe république.
 
V.M. Peut-on considérer que la laïcité a contribué à l’émancipation des femmes et à la mixité sociale ?
 
M.P. Absolument. Il s’agit même de l’un de ses grands apports. La séparation du civil et du religieux est évidemment un atout pour les femmes. La religion constituait un moyen de leur signifier leur infériorité et, tout à coup, on leur dit : "La religion, c’est privé. Dans le domaine public, il en va autrement !" Cette apparition d’un espace de liberté et d’indépendance pour les femmes a été - et est toujours - très important.
 
Une des origines de l’école laïque a justement été de mettre à la porte une église qui voulait coiffer les femmes, au sens physique et moral. Autre élément essentiel : la loi Jules Ferry qui dit que l’école est gratuite, obligatoire et laïque pour les deux sexes et dans les mêmes conditions.
 
V.M. : La laicité a-t-elle plus que l’éducation contribué à l’émancipation des femmes ?
 
M.P. Il s’agit d’un mouvement conjoint. Ceci étant, la laïcité peut être considérée encore plus importante puisqu’au moment où l’école laïque s’est installée et organisée, les filles étaient déjà assez largement alphabétisées, par le biais des écoles privées religieuses, mais aussi grâce aux écoles municipales laïques.
 
Propos recueillis par Séverine Bounhol. Valeurs mutualistes, n°231, mai 2004


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