A propos de "Le féminisme au masculin", de Benoîte Groult (1977) / Patrick Guillot


 

A propos de Le féminisme au masculin, de Benoîte Groult (Denoël/Gonthier, 1977)

 

Benoîte Groult évoque les hommes du passé qui ont écrit et agi pour faire avancer la condition féminine dans le sens de l’égalité des droits, à contre-courant de leur époque, et leur rend hommage.

 

Il s’agit, pour le seizième siècle, d’à peu près tous les écrivains, parmi lesquels Montaigne ; pour le dix-septième, de Poulain de la Barre, l’auteur de De l’égalité des deux sexes (1673) ; pour le dix-huitième, des philosophes Montesquieu, D’Alembert et surtout Condorcet  ; pour le dix-neuvième, de Stuart Mill, de Prosper Enfantin (disciple de Saint Simon et créateur d’une communauté inspirée par lui), de Fourier, le plus féministe de tous.

 

Ce travail est utile et intéressant : il rompt avec la pratique radicale-féministe de la condamnation globale des hommes (dans laquelle l’auteure tombe pourtant parfois...), il montre que la présumée aspiration à la domination n’a jamais été présente chez tous.

 

Mais l’auteure elle-même en limite la portée : elle assène lourdement l’idée que ces hommes représentent une infime minorité, douée de qualités "rares", exceptionnelles"... bref, des cas particuliers et isolés. Ce point de vue justifie plusieurs objections :

 

- peu nombreux, peut-être, mais l’échantillon présenté manifeste l’existence d’une véritable tradition, qui traverse les siècles.

 

- peu nombreux, certes, si l’on s’en tient à des personnalités connues : mais ne peut-on imaginer qu’ils constituaient les porte-parole avancés d’un ensemble plus large n’ayant pas accès à la parole publique ?

- peu nombreux... si l’on en restreint la liste. Dans L’un et l’autre, Elisabeth Badinter, pratiquant le même genre d’hommage, l’élargit à d’autres catégories d’hommes, dont elle reconnaît que l’action a été parfois plus déterminante que celle du mouvement des femmes : les laïcs républicains qui ont réussi à obtenir l’ouverture du niveau scolaire secondaire aux filles, les militants et les scientifiques qui ont mis au point et fait accepter les méthodes contraceptives

...mais Elisabeth Badinter ne va pas assez loin. Outre qu’elle ignore un certain nombre de sociétés ou de civilisations où les hommes ont voulu et réalisé l’égalité des sexes (la civilisation celtique par exemple), elle oublie le phénomène majeur de l’automatisation des tâches, seul processus qui a permis, au fil des siècles, de réduire la part des travaux essentiellement musculaires, et de créer une grande diversité d’activités professionnelles accessible aux femmes. Ce sont les hommes qui ont réalisé les inventions permettant cette automatisation qu’il convient de remercier.

Un bonne démarche de Benoîte Groult, donc, malheureusement bornée par les contraintes idéologiques.

Patrick Guillot

 

Le féminisme au masculin. Benoîte Groult (Denoël/Gonthier, 1977)

 

 



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