Nom de famille : Mère, alors ! Libération, 15 octobre 2015
[Le premier article de cette rubrique, pioché déjà dans Libé, datait de 2003, et constatait avec amertume que "Le nom du père a de beaux jours devant lui". Douze ans plus tard, la tendance s’est confirmée. Tant mieux. Le peuple pressent que porter le nom du père aide l’enfant à se détacher de la toute-prégnance de la mère. Les pseudo-élites et les bobos (voir les témoignages) s’accrochent à l’idéologie d’une égalité factice, dans un domaine où la nature impose une inégalité incompensable]
Nom de famille : Mère alors !
Seulement 7 % des enfants nés l’an dernier portent le nom de leur mère, un droit pourtant légal depuis 2005. Pourquoi les Français bloquent-ils ?
Dix ans maintenant que les Français ont le choix de donner à leurs enfants le nom du père, de la mère ou d’accoler les deux dans l’ordre qui leur sied. Dix ans que cette loi offre aux couples l’opportunité de jouer la carte de l’égalité et de la liberté. Et ? Eh bien, rien, nada, walou, ou quasi : dans une majorité des cas, c’est toujours papa qui gagne et transmet son fameux « patronyme », mot symbolique que le législateur avait justement tenté d’envoyer ad patres.
Les chiffres sont sans appel : 83 % des enfants nés en 2014 arborent le seul nom de leur père, selon une étude de l’Insee. Un sur dix seulement porte les deux accolés (massivement dans l’ordre père-mère). Et à l’arrivée, seulement 7 % reçoivent celui de leur mère. Des audacieux ? Des féministes ? Libération a invité ces pionniers à se manifester afin de tenter de les cerner (lire ci-contre). D’un point de vue purement statistique, il s’agit dans la majorité des cas (98 %) de parents non mariés, et plus de neuf fois sur dix, le père n’a pas reconnu l’enfant à la naissance…
Désespérément rétro-macho-phallo ce tableau général de la France des noms de famille ? Examen en trois points.
Le boulet de la tradition ?
« Ces chiffres n’ont quasiment pas bougé comparé à 2012 et 2013, constate Marie Reynaud, responsable de l’unité des études démographiques et sociales de l’Insee. Comment l’expliquer ? C’est difficile. La loi semble mal connue, notamment au sein des couples mariés. Et elle a dix ans : c’est relativement peu face à une tradition séculaire. » « L’héritage historique est très lourd. C’est celui du droit romain et de son pater familias, puis du droit canonique, puis du code civil napoléonien », invoque aussi le juriste, chercheur associé au CNRS, Daniel Borrillo. Va pour le poids de l’histoire. Depuis le XIIe siècle, le sacro-saint nom du père s’est substitué à l’usage du prénom accolé à une particularité physique (Maxime le gros), un métier (Archibald le poissonnier), etc. Mais voilà aussi des années que la pression monte pour davantage d’égalité entre pères et mères. Depuis 1978, le Conseil de l’Europe demande à ses Etats membres d’« accorder aux deux époux des droits égaux en ce qui concerne l’attribution du nom de famille aux enfants ». Il est remonté au créneau en 1985, évoquant une « discrimination inacceptable » entre les hommes et les femmes. Bref, le débat ne date pas d’hier. Même s’il est passé quasi inaperçu en France. Daniel Borillo : « Quand la loi a été débattue, l’opinion était tellement focalisée sur le pacs et l’homoparentalité qu’elle est passée sans souci. Alors qu’elle a une valeur symbolique très forte. De lutte contre des siècles d’histoire sexiste. »
Tu préfères papa ou maman ?
A en croire la sociologue Irène Théry, le peu d’appétit pour les doubles noms ou le seul nom de la mère ne serait pas qu’un problème d’(in)égalité. « Cela ne m’étonne pas que peu de familles accolent leurs noms. Que se passe-t-il au moment de la transmission ? Il faudra en choisir un. Cela heurte la norme sociale contemporaine, qui veut que l’on ne "choisisse" pas entre ses parents, qu’on les aime autant l’un que l’autre. » Pourquoi le nom du père l’emporte-t-il toujours alors ? « La mère a porté l’enfant, socialement, elle est la mère dès la grossesse. Pour l’homme, transmettre son nom est une façon d’exister. De pallier la dissymétrie », poursuit la sociologue. Avant d’ajouter : « Il me semble que le vrai changement en terme d’égalité, c’est le nombre grandissant de femmes qui conservent leur nom quand elles se marient. » De tels arguments font bondir le juriste Borillo. « Au fond, perdure encore l’idée que la mère est mère par nature, le père par culture, par le nom. Et le droit a longtemps cristallisé cette idéologie sexiste. La loi de 2005 aurait dû servir de levier. Ce n’est pas le cas. » Même si elle a par deux fois été toilettée. Depuis 2011, les deux tirets à la suite - très moches - qui devaient séparer les noms des parents accolés ne sont plus de rigueur depuis 2010. Et alors qu’en cas de désaccord sur le nom de famille de l’enfant, le nom du père primait autrefois, les deux noms sont depuis 2013 accolés par ordre alphabétique.
La France sent-elle le rance ?
Que se passe-t-il en Grande-Bretagne où l’on peut transmettre le nom qu’on veut ? Celui du père l’emporte. Idem en Allemagne et au Danemark, les premiers pays européens à avoir modifié leur législation. Au fond, il n’y a guère qu’en Espagne et au Portugal où l’égalité l’emporte. Les enfants espagnols portent le nom du père accolé à celui de la mère (et c’est donc le nom du père qui est transmis à la génération suivante). Au Portugal, la mère est en tête du doublet. Ces pays auraient-ils une longueur d’avance ? « Il s’agit surtout, selon Daniel Borrillo, d’une vieille tradition, due au fait que le nombre de noms de famille disponible est assez restreint. En accoler deux permet de singulariser les individus. Alors qu’en France, par exemple, où il y a eu beaucoup de migrations, le stock est bien plus grand. »
1) Votée en 2002, puis transcrite dans l’article 311-22 du code civil en 2005.
TÉMOIGNAGES
Alice, la féministe, 25 ans, Rédactrice web
« J’ai un nom composé : Marry-Bonneau. Rare. Mon mari l’aime beaucoup et il a failli le prendre. Quand notre fille s’est annoncée, on a d’abord songé à mettre le mien devant celui de mon mari, mais ça faisait vraiment trop long. Elle porte donc mon seul nom. L’esthétique a compté. Le fait que mes deux demi-sœurs aient décidé de donner le nom du père à leurs enfants aussi. Mais il y a évidemment un côté militant dans ce choix. Nous sommes féministes, nous pensons que l’égalité des droits théoriques doit se retrouver dans la pratique. En outre, nous sommes peu portés sur la tradition pour la tradition. On aime bien la remettre en question. Mes parents, qui sont du genre alternatifs, n’ont pas été choqués. Mes beaux-parents qui sont tradis font attention à ne rien dire mais n’en pensent pas moins. Je ne connais personne dans mon entourage qui ait fait ce choix et j’aimerais qu’il y en ait davantage car ce serait un pas en avant tant cet usage est l’expression d’une supériorité masculine. Très ancrée. Les gens disent : la mère a déjà porté, le père n’a rien. Ça ne tient pas. La mère qui abandonne son nom ne se sent-elle pas dépossédée ? »
Gildas, le pionnier, 66 ans, ex-prof de maths
« En 1977, notre choix fut de donner à notre fille le nom de sa mère. Je l’avais demandé à ma compagne. Nous ne voulions pas faire comme nos parents, être « dans l’ordre », nous qui étions très engagés dans le mouvement autogestionnaire et contre le patriarcat… Cela n’a pas été si simple : dans la clinique « avant-gardiste » où la naissance a eu lieu, à Châtenay-Malabry, on nous a recommandés, avec l’accord de la mairie, la démarche suivante : la mère est déclarée célibataire, l’enfant prend son nom ; une semaine après, le père se rend à la mairie pour reconnaître l’enfant. Du coup, sur le livret de famille je suis en « mention marginale » ! Cela m’a bien amusé, moi, le « militant féministe » de l’époque… Il m’est parfois arrivé de me voir attribuer le nom de famille de ma compagne et de notre fille, j’ai laissé dire. Et parfois aussi de sentir le poids d’interrogations pesantes concernant la paternité de l’enfant… »
Julie, la pragmatique, 36 ans, animatrice
« Accoler nos deux noms était hors de question, car ça sonnait terriblement « marque de bière cheap ». En plus, j’ai impression que transmettre deux patronymes, en France en tout cas, c’est laisser l’enfant se dépatouiller pour en laisser tomber un. Il n’y avait pas de bonne raison d’en choisir un plutôt que l’autre, et il me semble que ce sont plutôt les habitudes et la tradition qui ont le plus de poids. Nous avons donc décidé de nous en remettre au hasard et que le sexe du premier enfant déterminerait le nom de famille de la fratrie. Le prénom de fille sur lequel nous étions d’accord pour une fille allait mieux avec mon nom de famille, et le prénom de garçon avec celui de mon compagnon. Naissance du premier enfant, c’est une fille : c’est donc mon nom de famille qui se retrouve derrière son prénom. »
Gabriel, l’entêté, 54 ans, consultant en informatique
« Je m’appelle Martin, nom à la fois moche et le plus répandu en France, alors que ma compagne porte un nom plutôt rare et joli, en voie de disparition car elle n’a pas de frère. Quand notre fils est né en 1994, je n’étais pas marié avec sa mère, et en allant le déclarer à la mairie je lui ai donné mon nom car on ne pouvait faire autrement à l’époque. Nous avons, dès le début, pris le parti de lui donner nos deux noms (le mien d’abord, puisque c’était son seul valable, administrativement parlant). Partout où nous l’inscrivions, nous l’avons toujours fait avec ce nom composé, même si ce n’était pas officiel. On ne nous a jamais fait de difficultés. En 2005, j’ai fait les démarches pour qu’il puisse porter officiellement mon nom et celui de sa mère. Si j’avais un enfant aujourd’hui, je l’appellerais du seul de nom de sa mère. »
Catherine Mallaval
Libération, 15 octobre 2015
http://next.liberation.fr/vous/2015/10/15/nom-de-famille-mere-alors_1404880
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