Népal : j’ai deux maris, et alors ? Alternatives internationales, juin 2010


 

 Népal : j’ai deux maris, et alors ?

 

Du point de vue des habitants des hautes vallées de l’Himalaya, les controverses sur la polygamie qui font rage en France seraient peu compréhensibles. Au Népal, chez les Nyinbas, un minuscule groupe ethnique vivant d’agriculture et d’élevage dans quelques villages perchés à plus de 3000 mètres d’altitude, près de la frontière tibétaine, cette pratique se perpétue depuis des temps immémoriaux.

Sa forme principale est, dans le jargon des anthropologues, la "polyandrie fraternelle" : l’union des frères d’une même famille avec la même femme. Le manque de femmes - qui ici n’existe pas - n’est pas l’explication. Et la préférence pour telle ou telle forme d’union n’obéit pas à des valeurs ou des préjugés qui feraient qu’un sexe est inférieur à l’autre. Si la polyginie (le fait pour un homme d’avoir plusieurs femmes) est exceptionnelle chez les Nyinbas, elle n’est pas interdite. Et la monogamie est une situation tout aussi commune que la polyandrie. Bref, les individus ont le choix (excepté pour celles qui, faute d’hommes libres, restent célibataires). Pour autant, ces ménages à trois (ou plus) ne se forment pas sur la base des affinités électives, même s’ils sont de moins en moins arrangés par les parents. La raison est avant tout matérielle : c’est un moyen d’éviter le morcellement des terres dans un environnement où les espaces cultivables sont rares. Du reste, les anthropologues ont observé que cette pratique est plus répandue parmi les familles dont le patrimoine foncier est le plus important. Là où sous l’Ancien Régime, en Europe, les cadets se faisaient soldats ou curés pour ne pas démembrer l’héritage, les familles nyinba ont trouvé une autre solution. Qui, en regroupant les bras masculins, garantit à tous un certain confort matériel. Mais la polyandrie n’est pas toujours facile à vivre, et aujourd’hui, bien des jeunes Nyinbas profitent d’opportunités d’emploi, dans le tourisme par exemple, pour aller faire leur vie ailleurs... et en couple. 

 

Alternatives internationales, juin 2010, p. 27 



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