Trois siècles de parures masculines. Le Monde, 22 octobre 2005


[Même si le sujet peut paraître de faible importance, il est intéressant de noter qu’historiquement et contrairement à une idée reçue, les hommes ont, eux aussi et à leur manière, fait montre de créativité et de variété dans le domaine vestimentaire. Très intéressant est le commentaire de Jean-Paul Leclercq dans le premier paragraphe. Dans ce domaine aussi, c’est la société bourgeoise qui, parmi d’autres cadeaux empoisonnés, a introduit l’uniformité et la sévérité. Une société qui n’a été qu’une parenthèse, malheureusement trop durable...]
 
 
Trois siècles de parures masculines
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Difficile d’imaginer, devant le flot ennuyeux de costumes gris ou noirs à la sortie des bureaux, que pendant plusieurs siècles le vêtement masculin a été le refuge de toutes les fantaisies. "Et si le goût de la parure, que l’on interprète aujourd’hui comme relevant de la part féminine de l’homme, n’était finalement qu’un attribut mâle à reconquérir ?" , s’interroge Jean-Paul Leclercq, commissaire avec Pamela Golbin de l’exposition "L’Homme paré", inaugurée jeudi 20 octobre au Musée de la mode et du textile de Paris.

Dans une scénographie orchestrée par Jean-François Dingjian, le parcours chronologique - ponctué d’éclairages contemporains - retrace les fluctuations de l’ornementation au masculin depuis Louis XIV. "C’est à partir de son règne que le système de la mode est réglementé" , explique Jean-Paul Leclercq. Les édits somptuaires visent alors le luxe vestimentaire à destination des deux sexes et l’importation de dentelle qui entame sérieusement les finances du royaume. Au même titre que la broderie, on l’utilise abondamment aux manches pour souligner une gestuelle maniérée.

Composé d’un justaucorps, d’une veste et d’une culotte, l’habit à la française - ancêtre du complet-veston - répand son modèle dans toute l’Europe. Le costume de 12 kg, commandé en 1654 par Charles V de Suède, ou la cape de velours brodé des chevaliers de l’ordre du Saint-Esprit donnent une idée de la démesure des effets. A tel point que dans L’Art du brodeur, publié en 1770, Saint-Aubin cantonne son propos à la parure de l’homme et de son cheval. Par-delà l’énumération laborieuse des techniques, les confrontations d’époques accélèrent le rythme, comme la cuirasse, de 1540, associée à une silhouette de 1996 signée W & LT, sorte d’armure techno qui simule un corps body-buildé.

A partir de 1780, la fantaisie se réfugie dans le gilet dont les motifs suivent l’actualité culturelle et politique de l’époque. Ou dans les robes de chambre portant persiennes et soieries à grands dessins. Le divorce de la mode et de l’apparat est consommé dès la fin du règne de Louis XVI.

Sous l’influence de l’anglomanie, le costume gagne en sobriété et les typologies vestimentaires encore en vigueur se dessinent avec l’introduction de la redingote, du frac ou du veston. La Révolution porte un coup fatal à la débauche d’effets, malgré quelques tentatives expérimentales pour habiller l’homme nouveau. Si le costume égalitaire du citoyen n’a pas vu le jour, l’éphémère manteau des représentants du peuple restaure, en 1798, la toge à l’antique. Proclamé empereur en 1804, Napoléon exhumera l’habit à la française et les formes de l’Ancien Régime pour établir sa cour.

Dans cette succession de vêtements, on regrette que le dandysme ne soit qu’effleuré avec une allusion à Baudelaire et à Barbey d’Aurevilly dont la redingote est exposée. Si elle s’illustre plus dans l’attitude et les associations que dans l’ornementation, cette frivolité codifiée est pourtant une démonstration évidente des soubresauts d’excentricité au masculin.

En consacrant les valeurs épargne et travail, le siècle bourgeois déroule ses habits noirs, et les tentatives ornementales sont cantonnées aux tenues d’église, à l’uniforme militaire ou aux livrées de domestique. Réservée aux circonstances officielles, la parure est encore une façon de légitimer le pouvoir. Sous Napoléon III, on multiplie les uniformes civils, comme cet habit brodé de feuilles de chêne destiné à un haut fonctionnaire des eaux et forêts.

La panoplie s’assouplit plus tard avec les congés payés et le développement d’une garde-robe pour les loisirs, mais il faut attendre les années 1960 pour que des créateurs renouent avec une tradition fastueuse héritée de l’Ancien Régime. Si le "cosmocorps" de Pierre Cardin ou la robe unisexe d’Esterel n’ont guère fait d’émules en dehors des podiums, ils ont ouvert la voie à toute une génération de stylistes. De la jupe pour homme de Jean Paul Gaultier, en 1985, au costume Thierry Mugler à col Mao, porté dans l’Hémicycle par Jack Lang, les idées fusent dans les années Palace.

Sur fond de cuir ou de voile transparent, les deux couturiers intègrent des effets de piercing ou de tatouage. "Ils font ressortir l’intimité entre le corps de l’homme et le vêtement" , précise Pamela Golbin. Les trois vitrines consacrées aux vingt dernières années confrontent des visions radicales comme celles de Raf Simons, de Helmut Lang, de John Galliano ou de Vivienne Westwood à d’autres plus ancrées dans le quotidien. A l’image des classiques chahutés par Paul Smith ou Véronique Nichanian chez Hermès, qui traduisent le retour d’une tendance ornementale dépassant les frontières du vestiaire gay.

Dans cette évocation des mutations récentes de la parure, l’absence d’Hedi Slimane, qui a décliné l’invitation du Musée de la mode, passe d’autant moins inaperçue. "Le choix de faire cette exposition aujourd’hui correspond à une évolution des propositions vers des circonstances privées et non plus officielles" , remarque Pamela Golbin, qui insiste sur le nombre croissant de griffes inscrites au calendrier des défilés parisiens. Autant de propositions qui évitent les amalgames entre parure et caricature.

"L’Homme paré", Musée de la mode et du textile, 107, rue de Rivoli, 75001 Paris. Tél. : 01-44-55-57-50. Ouvert du mardi au vendredi de 11 à 18 heures, samedi et dimanche, de 10 à 18 heures. Entrée 6 €. Jusqu’au 30 avril 2006.
 
Anne-Laure Quilleriet
Le Monde, 22 octobre 2005
 


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