A propos de "Le phallus", d’ Alain Daniélou (1993) / Patrick Guillot


 

 

A propos de Le phallus, de Alain Daniélou
 

Aujourd’hui, cela étonne... ou fait ricaner. Et pourtant, le phallus a bien fait l’objet de culte, de l’Inde au monde celtique, en passant par l’Egypte et la Grèce, à partir de 8000 avant Jésus-Christ, et ce pendant plusieurs millénaires, puisqu’il en reste des survivances en Inde. C’est ce que narre Jean Daniélou, musicologue et historien spécialiste de la civilisation indienne, converti à l’hindouisme, dans cet ouvrage abondamment illustré, et récemment réédité.

A parcourir ces pages, on est étonné de la variété des formes qu’ont pu prendre les représentations du culte, et de la richesse de son symbolisme. Les formes, ce sont des piliers, des colonnes, des pierres sacrées, parfois sculptés, et aussi les célèbres menhirs (encore considérés comme ayant des vertus fertilisantes par les paysans européens au début du siècle). Ce sont aussi, sous forme allégorique, des objets (flèche, charrue, épée) ou des animaux (poisson, oiseau, serpent). Ce sont enfin des dessins et des sculptures d’hommes ou de dieux, dans une érection souvent... démesurée.
 
Parmi les dieux reliés aux cultes successifs, citons l’indien Shiva, seigneur des animaux ; le grec Pan, dieu du Grand Tout et de l’Univers ; le romain Priape, dieu des jardins et de la génération, protecteur des récoltes. Ces dieux sont représentés nus, la nudité étant alors considérée comme un symbole de vérité, son contraire étant l’hypocrisie.
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Car le sens de ce culte, ce n’est pas l’affirmation du pouvoir ou de la domination masculins. L’auteur écrit : « Vénérer le phallus, c’est reconnaître la présence du divin dans l’humain. (...) Dans l’instrument de la procréation nous vénérons le principe créateur et ceci dans la joie car l’organe procréateur est aussi l’instrument du plaisir qui, pour un instant fugitif, nous donne un aperçu de la béatitude divine. (...) Le culte du phallus implique la vénération de l’harmonie , de la beauté du monde, le respect de l’oeuvre divine, de l’infinie variété des formes et des êtres dans lequel se manifeste le rêve divin. Il nous rappelle que chacun de nous n’est qu’un être éphémère et de peu d’importance, que notre seul rôle est d’améliorer le chaînon que nous représentons pour un moment dans l’évolution de l’espèce, et de le transmettre.  » De plus, il cohabite parfaitement avec des représentations qui magnifient le corps et les vertus spécifiques reconnues à la femme. Enfin, c’est dans les régions culturelles les plus imprégnées de « machisme » (Moyen-Orient, Afrique du nord) qu’il semble le moins présent.

Mais pourquoi ces préoccupations historiques, voire nostalgiques ? Bien sûr, le type de religiosité propre à la Préhistoire ou l’Antiquité ne reviendra pas, au moins sous cette forme. Mais je ne peux m’empêcher de penser que cela constitue un manque important pour les hommes d’aujourd’hui. Dans nos sociétés, malgré le recul du puritanisme, malgré la libération des moeurs et celle des images du corps, le phallus (ou plus généralement le sexe masculin) n’a pas vraiment sa place. Dans les films, dans la publicité, le corps féminin est offert et magnifié dans son intégralité ; mais si l’on voit de plus en plus le corps des hommes, on ne montre pas leur sexe (hormis dans le domaine pornographique - douteuse promotion !) comme s’il était toujours une « partie honteuse » (voir la pub utilisée pour notre couverture : elle tombe à pic). Bref, les hommes ne disposent pas d’une représentation esthétique, valorisante (je ne dis même pas « sacralisée » !). de cette partie de leur corps, dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle n’est pas anodine.

Cette situation n’est que le reflet d’un état intérieur : ceux qui ont pratiqué le travail de groupe savent que nombre d’hommes ont du mal à accepter l’aspect de leur sexe, ou plus largement la légitimité de leur désir. Paradoxe : dans cette société qu’en apparence ils dominent, malgré le développement des technologies du visuel et la place qu’ils y occupent, les hommes n’ont pas réussi à (ou essayé de ?) créer une image gratifiante de leur corps pris dans son entier. L’évocation du culte phallique nous apprend ou nous rappelle que cela a pourtant été possible, et peut nous donner à réléchir sur les moyens d’améliorer l’image que nous avons de nous-mêmes, et par là notre propre estime.

Patrick Guillot. RH INFOS n°15, mars 1999

Editions Pardès, 1993 (Bibliothèque des symboles)

 
 

 



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