Le nom du père a encore de beaux jour devant lui. Libération, 7 juin 2003


 
[Regard sur ce qui s’est passé avant l’adoption de la loi. On comprend qu’ielle ne correspond à aucune demande, ni de l’opinion, ni des parlementaires. Une loi purement idéologique, impulsée par un lobby]
 
 
Le nom du père a encore de beaux jour devant lui
 
L’application de la loi sur le patronyme reportée
 
Lorsqu’on n’aime plus son fiancé, et qu’on n’ose pas l’avouer, on repousse la date du mariage. Il en va de même avec certaines lois. Ainsi de la réforme du nom de famille, adoptée en février 2002, dans l’euphorie et à l’unanimité sauf une voix. C’en était fini de « l’insupportable » suprématie du patronyme : les parents allaient choisir le nom de leur enfant : celui du père, celui de la mère, ou les deux. En cas de désaccord, le nom du père l’emportait. Tant pis si cette disposition, imposée par le Sénat, mettait à mal le principe d’égalité entre homme et femme. C’était le prix à payer pour que cette loi soit votée avant l’élection présidentielle.

 « Enterrement »
 
Le 10 avril dernier, le Sénat a repoussé à janvier 2005 l’entrée en vigueur de la loi, initialement prévue en septembre prochain. Au motif que « les services d’état civil ne sont pas prêts ». Cet après-midi, les députés de la majorité vont parachever ce que le socialiste Bernard Roman qualifie d’ « enterrement  ». « Ceux qui avaient voté le texte en 2002 disent en coulisse qu’ils regrettent. Comme c’est une réforme extrêmement populaire, ils n’osent pas l’avouer et se retranchent derrière des arguments techniques". Le président de la commission des lois, l’UMP Pascal Clément, évoque pudiquement les « réticences au ministère de la Justice » face à une loi « contrevenant à une tradition de longue date ». L’administration de la justice a joué l’inertie. Elle a gagné une première manche. Le sénateur Henri de Richemont (UMP) s’est dévoué pour déposer une proposition de loi réformant et repoussant le réforme.
 
Son texte ne revient pas sur le choix du nom pour les enfants nés après le 1er janvier 2005. Le recul de la nouvelle version se niche dans l’abrogation de la possibilité pour toute personne majeure n’ayant pas encore d’enfant, d’accoler à son nom celui du parent qui ne lui a pas été transmis. « En permettant à la personne elle-même, et non à ses parents, de modifier son nom, on porte atteinte au principe traditionnel de l’indisponibilité du nom », affirme aujourd’hui, pas gêné, le sénateur de Richemont. En 2002, il pensait tout le contraire : « Il est indispensable de permettre à l’enfant devenu adulte de corriger le choix de ses parents. Cette modification ne porte pas atteinte au principe de l’immutabilité du nom. »
 
« Chape de plomb »
 
Les temps ont changé, les ministres aussi. Celui de la Famille, Christian Jacob, pense que « le nom, c’est quelque chose dont on hérite, pas qu’on choisit à 18 ans ». Pour le mouvement familial progressiste qui militait pour le double nom, seule façon, selon elle, de ne pas créer de conflit et de respecter l’égalité parentale, le compte n’y est pas. Selon Bernard Roman, le gouvernement espère que les services de la chancellerie, « écrasés par une chape de plomb réactionnaire », enterreront à sa place la réforme : « C’est facile avec les décrets d’application inapplicables. » La morale de cette affaire revient sans conteste au sénateur Jean-Jacques Hyest, plus centriste que jamais : « On légifère à merci pour rendre heureux des gens qui ne demandent rien »
 
Blandine Grosjean
 
Libération, 07-06-2003 


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