Pierre Bourdieu, un sociologue dinosaurien (1930-2002)


 

Bourdieuseries : à la rescousse des sans-pénis

La domination masculine. Pierre Bourdieu. Seuil, 1998

 On peut reprocher bien des choses à Bourdieu – et nombre d’ex-gauchistes ralliés en toute mauvaise conscience au néolibéralisme ne s’en privent pas ces temps-ci - mais certainement pas son inconstance. Depuis maintenant près de quarante ans, notre sociologue répète en effet la même chose sur le même ton et dans les mêmes termes. Le monde se sépare entre dominants et dominés, et les premiers assoient leur domination en s’appropriant le « capital symbolique » (ou « culturel »), distillant ainsi des « habitus » de soumission qui permettent la « reproduction » des rôles assignés dans les différents « champs » de la société. Tel est le cœur de la sociologie bourdieusienne : le reste n’est qu’un habillage de faits divers et d’enquêtes de terrain agrémenté d’un jargon parfaitement inaccessible au commun des mortels (et certainement incompréhensible à la majorité des dominés).
 
« La domination masculine » commence par une analyse du statut des femmes dans la tradition berbère de Kabylie – recyclage d’une vieille étude ethnologique de l’auteur. Cette étude, nous dit Bourdieu, est valable pour toute la « tradition méditerranéenne » (depuis Hésiode jusqu’au GIA), et cette tradition méditerranéenne est à son tour extensible à l’ « aire européenne » (« comme l’a montré Van Gennep », nous assène-t-on sans plus d’explications). De façon tacite, on comprend ensuite que ce qui valable pour l’aire européenne l’est pour toute la planète. Et l’on mesure ainsi le biais méthodologique qui affecte l’ouvrage : l’extrapolation abusive dans un cadre dogmatique. A partir des Kabyles, Bourdieu picore dans ses précédents travaux ou dans la littérature féministe ce qui conforte la thèse de la domination symbolique, mais se garde bien de traiter frontalement son sujet d’étude.
 
Lorsqu’un fait est présent dans toutes les sociétés à toutes les époques, et transcende donc le cadre des particularités culturelles, on le considère généralement comme « naturel », co-extensif à notre humanité. Cette hypothèse a fait l’objet d’innombrables travaux de psychologie évolutionnaire ou de psychologie développementale (1). D’un essai sur la domination masculine, on attend donc, pour le moins, une discussion critique serrée sur ces éventuels fondements biologiques de la confiscation de certains pouvoirs par les mâles. Rien de tout cela : pour Bourdieu comme pour la majorité des féministes américaines, le « genre » n’est jamais qu’une « construction sociale naturalisée ». On apprend ainsi que les habitus imposés par les mythologies ou idéologies phallocentrées aboutissent à « une transformation profonde et durable des corps (et des cerveaux) « (?) et que seul l’ « arbitraire culturel » métamorphose le petit enfant « pervers polymorphe » en homme viril ou en femme féminine (!). D’ailleurs , « les différences visibles entre les organes sexuels masculin et féminin sont une construction sociale qui trouve son principe dans les principes de division de la raison androcentrique ». Ce charabia serait risible s’il n’était professé par un homme qui entend donner un statut scientifique à la sociologie.
 
Des victimes à tout prix
 
Les femmes progressent-elles dans la société moderne ? Ce n’est évidemment que poudre aux yeux. La preuve, nous dit l’oracle bourdivin : « les positions dominantes qu’elles sont de plus en plus nombreuses à occuper se situent pour l’essentiel dans les régions dominées du champ du pouvoir, c’est-à-dire dans le domaine de la production et de la circulation des biens symboliques (comme l’édition, le journalisme, les médias, l’enseignement, etc.) ». Mais un an plus tôt, le même Bourdieu et son réseau nous expliquaient que la télévision était devenue le principal filtre des opinions publiquement recevables. Si la domination s’exerce principalement par l’entremise du pouvoir symbolique et culturel, la progression des femmes dans les médias, l’éducation, la presse et l’édition devrait en bonne logique correspondre à la conquête d’une place forte de la phallocratie. En fait, son application obsessionnelle à recycler les cadres poussiéreux de sa sociologie interdit à Bourdieu toute intelligence de la dynamique historique : il lui faut à tout prix des dominé(e)s qui constituent l’armée de réserve de sa « science » de la libération.
 
Ainsi, après avoir peint le tableau d’une domination universelle et quasi-éternelle, le sociologue engagé, qui ne veut tout de même pas désespérer Billancourt, s’en remet pour finir à la nouvelle garde des « stigmatisés », à savoir… la communauté des gays et lesbiennes. Surtout ces dernières, en fait, puisque les premiers, qui ne se sentent pas l’âme de moines-guerriers de la révolution, trouvent le moyen de reproduire le rapport passif-actif dans leur sexualité. Les copines comme néopétroleuses des révoltes sociales à venir : lesbien raisonnable, mon cher Bourdieu ?
 
François Lebeaume
 
Eléments pour la civilisation européeenne, n°93, octobre 1998, page 38
 
 
(1) Cf. par exemple quelques travaux récents : Helmuth Nyborg « Hormones, Sex and Society », Praeger, Westport 1996 – Ada Lampert, « The evolution of love », Praeger, Westport 1997 – Richard Wrangham et Dale Peterson, « Demonic Males », Houghton Mifflin, New York 1996 –Valerie J. Grant, “Maternal Personnality, Evolution and Sex Ratio ”, Routledge, London 1998.
 

juin 2010 

Philosophie magazine publie un dossier sur Michel Foucault, et donne la parole à des intellos qui l’ont connu. Voici ce qu’en dit l’universitaire américain John Searle (p. 77) :
 
Lors d’un déjeuner, je lui ai posé la question : "Michel, pourquoi écris-tu si mal ?" De manière révélatrice, il m’a répondu : "Si j’écrivais aussi clairement que toi, les gens à Paris ne me prendraient pas au sérieux. Ils penseraient que ce que j’écris est enfantin et naïf." Comme je pensais qu’il exagérait, j’ai insisté. Là, il m’a affirmé avec force : En France, il faut avoir au moins 10% incompréhensibles." Il le pensait ! Plus tard, j’en ai parlé avec Pierre Bourdieu, qui est allé plus loin, en me disant en substance : pour qu’un livre soit pris au sérieux en France, ce n’est pas 10% de passages incompréhensibles qu’il faut, mais le double !
 
Manipulation et mépris du lecteur, indifférence à la rigueur de sa propre pensée : voici qui ne fait que confirmer les traits de comportement mis en évidence dans l’article précédent 
 
 


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