Le premier pouvoir (extrait de "La confusion des sexes", 2007). Michel Schneider


 

Le premier pouvoir

 

Rappelons une évidence que le féminisme socialiste dénie. Depuis que la contraception et l’avortement ont dénoué le lien fatal entre sexualité et reproduction et en attendant qu’il ne soit plus nécessaire d’avoir des rapports sexuels pour transmettre la vie, les femmes disposent dans notre société du premier pouvoir, celui de la reproduire. La femme a aujourd’hui matériellement et juridiquement tout le pouvoir de faire ou non des enfants. Après 1968, les féministes criaient « nos ventres nous appartiennent ». Tautologie et mensonge à la fois, car cela voulait dire une chose évidente (les femmes peuvent décider de ne pas être mères), et cachait un fantasme terrible (« nos enfants nous appartiennent »). Depuis, les lois et les pratiques leur ont peu à peu donné raison : par la contraception et l’avortement, elles maîtrisent seules, et de façon absolue, la conception. Les hommes subissent en la matière des inégalités flagrantes. A partir de 1972, le critère de filiation présumée par le père n’a plus de caractère légal, et la femme peut forcer l’homme à devenir père s’il y a eu entre eux fécondation, mais l’homme ne peut pas forcer la femme à devenir mère. Dans le cadre des familles recomposées, une mère peut donner à l’enfant un autre père que celui qui l’a conçu ou l’a reconnu à la naissance. Un père ne peut pas donner à un enfant une autre mère que celle qui a accouché de lui. Enfin, le recours aux inséminations artificielles avec donneurs (IAD) ou aux fécondations in vitro (FIV) permet de nouvelles formes de « paternité biologique (1) ». Mais dans ces derniers cas, le père n’a pas son mot à dire et les enfants sont conçus entre les mères, les médecins et les juges. Dans toutes ces configurations, la paternité dépend des mères, qu’il s’agisse de la paternité légitime, naturelle ou artificielle.

(1) Par le truchement d’une deuxième homme « donneur de sperme » dans l’IAD, et par celui d’une autre femme dans les FIV « mère porteuse », voire d’une troisième , « donneuse d’ovules ». L’expression même de « père biologique » est un non-sens. Il y a un géniteur biologique et un père dont la fonction est symbolique.

 

Michel Schneider

 

Extrait de La confusion des sexes, Flammarion, 2007, pp. 28-29

 


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