Les hommes ne sont pas des bourreaux ! Elisabeth Badinter. Marianne, n°400, 18 décembre 2004


 
Les hommes ne sont pas des bourreaux ! Les femmes, tout sauf des victimes…
 
Par Elisabeth Badinter, philosophe, auteur notamment de Fausse route, Odile Jacob, 2003
 
- Vous évoquez dans vos écrits l’élimination progressive mais radicale de l’homme dans le processus reproductif comme l’une des plus grandes révolutions qui ait affecté l’humanité. Qu ‘entendez-vous par là ?
 
E.B. : Grâce aux nouvelles techniques de procréation, on peut se passer du corps de l’homme et peut-être un jour de son sperme, du moins pour avoir une fille. Les conséquences sont de l’ordre du fantasme : les hommes se sentent désormais comme des machines à faire jouir. Leur rôle est d’abord érotique, la procréation étant aujourd’hui une partie très restreinte de la sexualité. Ce sentiment n’est ni raisonné ni argumenté. Mais il rend les hommes plus fragiles et les inquiète. La barre est si haute ! A une époque où l’identité masculine est de plus en plus difficile à définir, le petit reliquat d’assurance identitaire réside dans le fait d’avoir un sexe et de faire jouir les femmes. Donc si ça ne marche pas, c’est la catastrophe assurée.
 
- Et du côté des femmes ?
 
E.B. : Leur image libérée leur met une pression incroyable. Face à l’impératif de performance et de jouissance véhiculée par les médias - particulièrement dans les années 80-90 -, les femmes qui souffrent de problèmes sexuels se sentent handicapées. Difficile aujourd’hui de s’avouer qu’on jouit mal ou pas du tout. Elles ont acquis la liberté de dire oui, il leur faudrait conquérir, aujourd’hui, celle de dire non. C’est, sans doute, ce qui explique le vent de puritanisme actuel.
 
- A quoi est-il reconnaissable ?
 
E.B. : Entre autres au refus de l’exhibition du corps. Lorsque l’on exige qu’une pub pour un string soit interdite, c’est une forme de puritanisme. Cachez ce corps que je ne saurais voir mais que je vois des mois durant sur les plages. Selon moi, les femmes savent très bien ce qui est bon ou mauvais pour elles. Si une publicité les gêne, elles n’achèteront pas le produit et la publicité changera.
 
- D’où vient ce puritanisme ?
 
E.B. - Il prend, selon moi, racine dans un rejet très profond de la sexualité masculine. On ne le dit jamais très haut tant c’est incorrect, mais cela vient des féministes radicales américaines qui revendiquent haut et fort leur lesbianisme. Elles disent leur dégoût du corps et de la sexualité masculine. Elles redoutent une exploitation du corps de la femme, qui serait désormais traitée comme un objet jetable. Les femmes sont érigées en victimes collectives des hommes bourreaux. Or, selon moi, les femmes portent en elles autant de sadisme que les hommes. Il faut arrêter de nourrir ce mythe de l’innocence féminine qui ne peut engendrer que méfiance et séparation des sexes.
 
Propos recueillis par J.S.
 
Marianne, n°400, 18 décembre 2004, p.65 (l’interview fait partie du dossier « Non, les Français ne sont pas les champions du monde du sexe !  »).


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