Tu seras cornichon, mon fils. Le Devoir, 14 septembre 2009


 

 Questions d’images. Tu seras cornichon, mon fils

Ne nous méprenons surtout pas. Se pencher sur l’image des garçons et des hommes dans notre société n’implique pas forcément que nous soyons machistes ou que nous ne reconnaissions pas les nombreux bienfaits de la révolution féministe. Dans un monde qui ne fait plus guère de place aux nuances, il m’apparaissait important de faire cette précision.
 
Le sujet interpelle. De plus en plus de médias notent, comme je le fais depuis des années, que la place faite aux hommes et aux garçons dans la publicité se réduit — hélas — à un rôle de benêt, de niais, de maladroit, d’insouciant au volant, quand ce n’est pas de poltron ou de lâche, purement et simplement. Au Québec, plus qu’ailleurs, la vigilance et la solidarité exemplaire des femmes ont permis d’éradiquer ou presque la publicité sexiste à leur endroit — et je m’en réjouis — avec pour effet pervers et non concerté qu’elle l’est grandement devenue à l’endroit des hommes. La « misandrie » publicitaire est-elle née ? Je ne crois pas. C’est pourquoi je baptise cet événement de façon moins dramatique : le phénomène de l’homme-cornichon. Une occurrence nettement émergente depuis une dizaine d’années.

L’humour s’est avéré de longue date une stratégie efficace pour attirer la sympathie des consommateurs sur des marques ou des produits. Et contrairement à ce que l’on pense, un récent sondage de Léger Marketing montre que les Québécois ne sont pas aussi publiphobes qu’on le dit. En effet, 58 % d’entre eux déclarent apprécier la publicité, en particulier la publicité humoristique.

Alors, rions ! Mais de qui ? Mais des hommes, pardi ! Puisque, après tout, ils sont bien les seuls aujourd’hui à ne pas élever la voix quand on les ridiculise, les seuls à ne rien dire lorsque l’on circonscrit leur territoire à celui de la cour arrière, chargés du BBQ, responsables de la bière et de l’entretien des conversations touchant au football ou au hockey.

Poser une étagère de guingois, faire exploser la salle de bain, faire le chat capricieux ronronnant autour de sa maîtresse, se déguiser en flacon de détersif, de grosse brosse à dents ou de liquide rince-bouche, ne pas savoir plier une poussette d’enfant, ne plus jamais conduire une voiture en présence de sa conjointe, plonger en slip fluo moulant dans la piscine, toujours avoir l’air con en toutes circonstances, etc. Nos écrans font défiler à longueur de journée ces facéties d’imbéciles heureux. Pris un par un, il n’y a pas grand-chose à redire. Mais, au cumul, l’effet est désastreux.

De plus, contrairement à ce que déclarent bien des publicitaires, créatifs ou non (et j’englobe les annonceurs et les médias), la publicité n’est pas seulement le miroir de la société. Elle est également une influenceuse riche et privilégiée de l’opinion, capable de projeter des images auxquelles bien des consommateurs s’identifient — sciemment ou inconsciemment. En perpétuant la ridiculisation des hommes, on stimule une perversion d’image tout aussi nocive que le fut l’atteinte à celles des femmes. Ou bien l’homme s’identifie, et c’est dommageable. Ou bien, en pratiquant l’évitement d’identité, il se réfugie dans le silence ou dans l’isolement en se tournant vers d’autres supports (jeux vidéo, avatars, etc.) afin d’y trouver d’autres modèles. Cela étant particulièrement remarqué chez les plus jeunes.

Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes si, de plus, les garçons et les hommes n’éprouvaient pas les difficultés que l’on connaît pour trouver leur place dans la société. Et je ne suis, bien entendu, pas le seul à m’en inquiéter. Des pédagogues, des professeurs, des psychologues, des médecins, mais aussi des parents constatent avec une certaine impuissance que ces phénomènes contribuent à une déstabilisation du rôle de l’homme en général, et des jeunes garçons en particulier. Je m’en voudrais cependant de faire des amalgames tant qu’aucun élément de cause à effet n’aura été prouvé.

Je devine cependant que le cumul de ces brouillages d’identité est probablement fort préjudiciable pour le bien-être mental des hommes dans leur quête nécessaire d’identification à des héros ou à des modèles masculins.

Je ne suis pas homme de censure, ni de règlement coercitif. Et je veux encore croire à la créativité et à l’intelligence de mes pairs. En ce qui concerne la publicité, la recherche de l’équilibre m’apparaît plus que nécessaire. Il va falloir trouver ailleurs de nouvelles sources d’inspiration afin que ce cornichon rejoigne à jamais un territoire qu’il n’aurait jamais dû quitter : son bocal.
 
Jean-Jacques Stréliski
Le Devoir, 14 septembre 2009

Jean-Jacques Stréliski est spécialiste en stratégie d’images.
 


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