La petite enfance et le masculin. Juliette Rennes, Renaud Martin. Le Monde, 15 février 2005


 

[ L’un de nos points de convergence avec le féminisme égalitaire (les auteurs de l’article sont de MixCité) : la féminisation et la masculinisation des noms de métiers. C’est d’abord le langage qui dissuade un sexe ou l’autre d’investir telle ou telle catégorie de métiers. Le langage, les résidus d’idéologie bourgeoise et aujourd’hui les préjugés négatifs contre les hommes, tout cela ensemble dissuade les hommes d’investir les métiers de la petite enfance. Tout cela est à combattre en même temps.]

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La petite enfance et le masculin
 
Il faut une indépendance d’esprit singulière ou une histoire individuelle hors du commun à un jeune homme pour s’imaginer exercer un métier relatif à l’accueil ou à l’éducation de la petite enfance. La condamnation sociale de la déclinaison au masculin de ces emplois se lit dans les usages linguistiques. Le terme d’assistante maternelle qui figure dans le projet de loi sur la professionnalisation de cette activité, présenté mardi 8 février à l’Assemblée nationale, en est un bon exemple.
 
Le terme exclut doublement les hommes : non seulement par la féminisation, mais encore par la référence à la maternité, devenue invisible tant elle est courante, comme dans l’incontournable école maternelle qu’on serait peut-être avisé un jour de rebaptiser « école enfantine ».
 
Ce fut une victoire féministe que d’obtenir peu à peu la mixité des désignations de professions historiquement masculines. De « l’avocate », qu’on écrivait encore au début du vingtième siècle avec des guillemets, à la « professeure » qui entre peu à peu dans les usages depuis la circulaire sur la féminisation des noms de métiers de 1997, la présence de femmes dans des secteurs initialement non-mixtes est devenue pensable. Cependant, parallèlement, et tout au long du XXe siècle, des pans entiers du monde professionnel relatifs au service social et à la petite enfance se construisaient comme féminins : c’est avec le sentiment d’une évidence la plus totale que l’on voyait en eux une forme de « maternité sociale », prolongement du rôle que les femmes occupaient dans la sphère privée.
 
Dans un guide d’orientation professionnelle de 1935, Suzanne Cordelier désignait ces carrières comme « spécifiquement féminines », non sans préciser : « Nous avons rencontré, au service social de l’enfance un assistant. Mais c’est là une exception qui confirme la règle et nul, même parmi les adversaires les plus résolus du travail féminin, ne songerait à disputer aux femmes les lourds devoirs qu’elles assument ».

À présent que les pouvoirs publics prennent au sérieux le processus de remise en cause, dans l’espace privé, de l’assignation exclusive des femmes à l’occupation des enfants en bas-âge (lois sur le congé de paternité ou la garde partagée par exemple), il serait temps de revoir également l’évidence de l’exclusivité féminine des métiers de la petite enfance. La professionnalisation croissante peut contribuer à émanciper ces métiers de catégories d’un autre âge telles que la « nature féminine » ou « l’instinct maternel ».
 
Juliette Rennes et Renaud Martin (association MixCité)
 
Le Monde, 15 février 2005


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