10% de femmes victimes : l’enquête épinglée. L’Express, 24 avril 2003


 

[Au Québec comme en France fleurissent des enquêtes bidon visant à gonfler démesurément le nombre de victimes féminines, tout en niant l’existence de victimes masculines. Ci-contre le livre de militants québécois déconstruisant une enquête concluant à l’existence de 300 000 victimes féminines au Québec (soit 10% des femmes en couple).

 

Rappel : nous publions dans la même rubrique le texte intégral du texte de Marcela Iacub et Hervé le Bras dont il est question dans l’article ci-après.]

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10% de femmes victimes : l’enquête épinglée

L’étude Enveff menée par Maryse Jaspard et son équipe est critiquée par la revue Les Temps Modernes

"Un des enseignements de l’Enveff a été de mettre en évidence l’ampleur du silence et l’occultation des violences par les femmes qui les subissent. L’interrogation des femmes dans un cadre neutre et anonyme a contribué à lever le voile qui masquait les violences sexuelles : un grand nombre de femmes ont parlé pour la première fois, au moment de l’enquête." C’est en ces termes qu’en janvier 2001 l’équipe de l’Enveff - sept femmes et un homme dirigés par la sociologue Maryse Jaspard - a rendu publics les résultats de son enquête réalisée auprès d’un échantillon représentatif de 6 790 femmes de 20 à 59 ans, avant de remettre son rapport. Ce travail avait été commandité par le Service des droits des femmes et le secrétariat d’Etat aux Droits des femmes, en réponse aux recommandations faites aux gouvernements, lors de la Conférence mondiale sur les femmes, à Pékin, en 1995, de "produire des statistiques précises concernant les violences faites aux femmes". Deux ans plus tard, au moment où le livre compilant les résultats va être publié - le 15 mai, à la Documentation française - l’Enveff est la cible d’une critique virulente de la part du démographe Hervé Le Bras et de la juriste Marcela Iacub. Tous deux émettent des réserves sur la conception même du questionnaire, ainsi que sur la façon dont certains résultats ont pu être additionnés et certains faits mélangés, au prix, disent-ils, d’amalgames et d’approximations. Dans le prochain numéro des Temps modernes (daté de janvier, février, mars), ils critiquent l’idéologie qui, à leurs yeux, inspire cette enquête. Au lieu de pousser les femmes à réagir à la violence masculine par une démarche autonome - en quittant leur conjoint, par exemple - il s’agit de les inciter à réclamer toujours plus de mesures répressives. Selon les deux chercheurs, ce féminisme-là fait de la violence - sexuelle, surtout - "à la fois la source des inégalités entre les sexes, l’essence de leur rapport et le lieu stratégique où elles sont censées intervenir". Et c’est cette idéologie qui, accusent-ils, inspire l’Enveff - "grossière, si l’on peut dire, avec précision". "Trois couples d’amalgames organisent l’ensemble, notent-ils. La confusion des mots et des choses, la confusion des violences physiques et des violences psychiques, la confusion entre la sexualité et la violence."

 

8,3% des femmes seraient victimes de harcèlement sexuel

Iacub et Le Bras donnent pour exemple "l’indice global de harcèlement sexuel" dans l’espace public, et observent que, pour le calculer - 8,3% des femmes en seraient victimes - les auteurs de l’enquête ont additionné, notamment, le fait d’être suivie dans la rue, des "avances sexuelles" non définies, des "pelotages" et des "viols". D’autre part, ils ont entretenu la confusion autour de mots qui, comme "harcèlement" ou "violences conjugales", ont un sens commun distinct de sa définition pénale. Voilà comment on prépare, suggèrent les deux chercheurs, "l’ajustement de la notion juridique sur le sens commun". C’est ce qui s’est passé avec la création du délit "insaisissable" de harcèlement moral, à la suite d’une campagne d’opinion, et l’élargissement aux collègues du délit de harcèlement sexuel. Autre critique : pour aborder les violences conjugales, l’Enveff mélange allègrement les actes physiques et les pressions psychologiques. Ce qui permet de présenter un "indice global" confortable  :

 

10% des femmes se déclarent victimes de violences conjugales

Tant pis si, dans ce pêle-mêle, on retrouve mélangés des insultes répétées, du chantage affectif, du harcèlement moral, d’autres "pressions psychologiques" et des violences physiques et sexuelles. Tant pis si ces "pressions psychologiques" - qui, selon, l’Enveff, occupent une place prépondérante dans les relations de couple - réunissent des "violences" pour le moins diverses, allant du dénigrement systématique au coup du mépris, en passant par les accès de jalousie questionneuse. L’indice global de violence conjugale, notent Iacub et Le Bras, "met sur le même pied le cas où, une fois, au cours d’une dispute, le conjoint ’’a exigé de savoir avec qui vous étiez" et ’’a fait des remarques désagréables sur votre apparence physique" et le cas où le conjoint vous a brisé la mâchoire et cinq dents d’un coup de poing rageur". D’ailleurs, observent les deux critiques, il aurait été utile d’interroger aussi les hommes victimes et de "mener une enquête analogue sur ceux ou celles qui commettent les violences". Histoire de comparer les versions, "premier pas vers la compréhension du rapport humain en tant que processus complexe". Quand on lui parle de guerre des sexes, Maryse Jaspard ouvre de grands yeux scandalisés : "C’était pour nous une aventure scientifique, dit-elle, et ces attaques sont malhonnêtes." Elle souligne que le questionnaire a été validé par le Conseil national de l’information statistique (Cnis). En réalité, on le savait, la genèse de l’enquête n’a pas été sans dissensions. Les trois associations féministes qui, entre autres, faisaient partie du comité de pilotage de l’enquête, ont particulièrement pesé. C’est sur leur insistance qu’on a finalement répertorié parmi les violences le fait d’obliger une femme, sur son lieu de travail, à regarder une image pornographique.

 

Pressions physiques et psychologiques

Si elle admet qu’il était un peu léger d’additionner des conduites de nature et d’intensité très variables sous le vocable générique de "harcèlement sexuel", Maryse Jaspard défend l’idée qu’il existe, en revanche, un continuum en matière de violence conjugale : "On ne peut pas isoler les types de violences. Les agressions physiques sont toujours accompagnées de pressions psychologiques." La réciproque, pourtant, n’est pas toujours vraie. "Mais, vous savez, plaide-t-elle, certaines femmes sont véritablement détruites par les pressions psychologiques de leur conjoint. D’ailleurs, ce sont souvent les mêmes qui se retrouvent victimes de pressions psychologiques sur leur lieu de travail." Mais il n’est pas très bienséant de suggérer que ces femmes-là sont peut-être plus fragiles, vulnérables, ou parano. Et que les hommes, eux aussi, sont parfois victimes de pressions psychologiques. Militante, l’Enveff ? Maryse Jaspard, elle, réplique que les féministes jugent ses résultats si ridicules qu’elles vont nourrir leurs argumentaires à d’autres sources. "D’ailleurs, dit-elle, au début, nous étions déçues, nous redoutions d’avoir raté notre enquête. 10% de femmes victimes de violences conjugales, c’est beaucoup moins que ce qui se dit outre-Atlantique ou dans d’autres pays européens, où l’on englobe aussi les insultes : le chiffre peut monter jusqu’à 50%, dans certains cas." 10%, cela fait tout de même du monde. "Ah bon ? 10%, vous trouvez que c’est beaucoup ?"

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Jacqueline Rémy

L’Express, 24 avril 2003

En ligne avec le reste du dossier : http://livres.lexpress.fr/dossiers.asp?idC=6658&idR=0

 



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