Le sexe fort en perte d’avenir. Denise Bombardier. Le Devoir, 7 septembre 2007


 

 
Le sexe fort en perte d’avenir


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Les statistiques sont alarmantes. Les hommes de demain seront sous-scolarisés, plus pauvres et donc plus démunis socialement que les femmes. Le phénomène s’observe partout au Canada mais c’est encore une fois au Québec que l’inversion de la situation est la plus spectaculaire. On savait déjà que les filles réussissent mieux en classe, qu’elles décrochent moins que les garçons, qu’elles sont désormais très majoritaires dans certaines professions libérales, la médecine au premier chef, voilà que les chiffres indiquent qu’il s’agit d’une tendance lourde et que l’écart entre les hommes et les femmes va s’accentuer au profit des seules femmes.

Est-ce là l’égalité souhaitée par les femmes lorsqu’elles ont entrepris de se battre ? Est-ce ce que l’on souhaite pour nos fils, nos frères, nos maris, nos amants ? Celles qui se réjouissent bruyamment de cette infériorisation masculine au nom d’une idéologie revancharde, celles qui haussent les épaules comme pour banaliser le phénomène, celles qui s’enfouissent la tête dans le sable comme si leur vie allait échapper à cette révolution, toutes devraient s’interroger. Est-ce ainsi que nous voulons que les hommes vivent, pour paraphraser Raymond Lévesque ?

Le féminisme a élargi le champ féminin en assurant aux femmes qu’elles pouvaient accomplir à la fois les tâches de leurs propres mères, à savoir se marier, vivre en couple et avoir des enfants, et également toutes les tâches masculines, c’est-à-dire avoir comme leur père un métier, une profession, une autonomie financière et un statut social dans la sphère publique et non plus privée. Les garçons eux, ont subi une pédagogie négative. « Ne fais pas comme ton grand-père et ton père » proclament les nouveaux commandements. Dès la maternelle, les garçons sont plongés dans un univers quasi exclusivement féminin et cela se poursuit d’ailleurs au primaire. Les maîtresses, consciemment ou pas, les souhaitent souvent sages comme des filles, attentifs comme des filles, appliqués comme des filles. S’ils s’agitent, bousculent certains enfants, crient trop fort, on parlera d’agressivité et pourquoi pas de violence, transformant des tiraillages de garçonnets en comportements pré-pathologiques. Et vivement les pilules calmantes !

Dans les ex-pays communistes, on a déboulonné les statues de Marx et de Lénine, les islamistes ont détruit les bouddhas et nous, depuis des décennies, nous sommes employés à dévaloriser l’image de l’homme, du père en particulier. Les hommes eux-mêmes ont contribué à cet effondrement symbolique en fuyant leurs responsabilités paternelles. Les générations de garçons sans père qu’ont bien décrites Guy Corneau et tant d’autres ont engendré des fils fragiles, ceux-là mêmes qui se laissent mettre en échec par le système scolaire et qui, aliénation extrême, s’en vantent tout en s’étourdissant dans des bruits divers qui les empêchent momentanément de ressentir la terrible angoisse qui les attend au détour. Ils n’ont de modèles masculins que les sportifs millionnaires et qui le sont avant tout grâce à leurs millions. Rien de ce qu’ils accomplissent ne se fait au nom du père et ils ne se considèrent plus comme des fils mais plutôt comme des êtres flottants sans repères, isolés alors qu’ils se croient en gang et libres parce qu’ils sont sans attaches.

Aussi alarmant que ces statistiques est le silence. Depuis une semaine, date de parution des chiffres, aucune voix ne s’est élevée pour commenter la nouvelle. Pas de débat, pas de protestation, pas de commentaire de porte-parole patentés, ceux-là mêmes qui font commerce de dénoncer les injustices faites à l’air, aux arbres, aux animaux, aux habitants du fond de la planète et bien sûr aux femmes. Car faisons l’exercice. La même information publiée en changeant le mot homme par femme, imagine-t-on ce que cela aurait provoqué ? Depuis une semaine, les journaux auraient été inondés de lettres de lecteurs, d’analyses de spécialistes, la télévision aurait organisé des débats, les politiciens de tous bords, Mario au premier chef, se seraient commis d’office et des manifestations auraient sans doute eu lieu à travers le Québec. Or, rien de cela ne s’est produit. À croire que les hommes ne se sentent pas concernés par ce qui arrive à leur propre sexe, ce qui est la preuve d’une aliénation encore plus terrible que celle que l’on observe chez eux sur le plan émotionnel.

L’avenir des relations hommes-femmes dans le contexte qu’annoncent les données actuelles sera sombre. Les inégalités, qui s’institutionnaliseront, provoqueront des désarrois, des affrontements, des frustrations dont on imagine mal l’ampleur. Les Québécois souhaitent des changements par les temps qui courent. En tous cas, c’est ce qu’annoncent les sondages. Ce qui est en train de se produire de façon souterraine, aucune échelle de Richter ne l’a encore enregistré. Nous ne sommes plus dans une guerre de sexes mais dans la domination annoncée d’un sexe sur l’autre. Qui peut affirmer que la société des amazones a entraîné le progrès de l’humanité ?

 

Denise Bombardier

Le Devoir, 7 septembre 2002

http://www.ledevoir.com/2002/09/07/8680.html

 

 

 

 



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