Jean Le Camus : « L’essentiel : maintenir le double lien ». Le Monde, 27 octobre 2004


Entretien avec Jean Le Camus, professeur de psychologie à l’université Toulouse-II
 
« L’essentiel : maintenir le double lien »
 
Spécialiste de la paternité et auteur d’un ouvrage sur Le vrai rôle du père (éd. Odile Jacob, coll. Poches 2004), comment expliquez-vous que les enfants en cas de séparation parentale, soient encore à 85% domiciliés chez leur mère ?
 
Même si elle se modernise, la législation qui entoure la séparation parentale et ses suites ne peut pas être comprise sans tenir compte de la conception traditionnelles dans laquelle elle s’inscrit, à savoir l’opposition des rôles du père et de la mère.
 
Tant qu’on voit la mère dans un rôle uniquement protecteur et nourricier, et le père dans un rôle uniquement séparateur, porteur de nom et de l’ouverture sociale, tant qu’on pense qu’il y a d’abord, pour l’enfant, un « âge de la mère », puis un « âge du père », alors les magistrats se sentent légitimés à confier préférentiellement l’enfant à la mère.
 
Et cette vision, selon vous, serait fausse ?
 
Assimiler la mère à la seule fonction d’amour et le père à la seule fonction d’autorité, c’est risquer d’assécher et de rigidifier les obligations parentales d’une façon préjudiciable à l’enfant.
 
Cette position n’est pas fausse, mais elle est incomplète. Et elle apparaît aujourd’hui d’autant plus restrictive que les travaux des psychologues de l’enfant ou du bébé, menées depuis une trentaine d’années aux Etats-Unis, ont amplement démontré que la présence directe et active du père dans les toutes premières années de la vie avait, elle aussi, un grand rôle à jouer dans le développement de l’enfant.
 
C’est pourquoi j’ai souhaité, dans le laboratoire « Personnalisation et changements sociaux » où je travaillais à Toulouse, développer un courant de recherches plus axé sur la paternité, au sein de l’équipe « Psychologie du jeune enfant » que j’ai créée et dirigée de 1994 à 1998.
 
En cas de séparation parentale, comment , aujourd’hui, voyez-vous évoluer les pères ?
 
Plutôt positivement. Il faut tout d’abord le rappeler : en France, il y a à peu près un père sur cinq qui, lors d’une séparation, demande que les enfants lui soient confiés. Le juge le leur accorde dans plus de la moitié des cas. Ce qui montre que quand les pères sont vraiment motivés et se montrent capables, en accord avec la mère, d’assumer leur parentalité, la justice suit…
 
Parmi les autres – soit la grande majorité -, il y a ceux qui sont regroupés dans les mouvements de défense des pères : ce sont des hommes en colère, malheureux, qui se disent « dépossédés » et qui ont décidé de se battre – fût-ce parfois de façon maladroite – pour maintenir le lien avec leurs enfants. Mais il y en a aussi un certain nombre qui vivent, de façon honorable et somme toute confortable, les conditions du droit de visite et d’hébergement (un week-end sur deux et la moitié des vacances). Certains s’en satisfont. D’autres aimeraient voir plus souvent leurs enfants, et demandent parfois la révision du jugement dans ce sens.
 
Il n’en reste pas moins qu’après la rupture conjugale, 30% des enfants vivant avec leur mère ne revoient plus leur père. Quelles sont pour eux les conséquences de cette absence ?
 
Elles sont presque toujours négatives. Sauf cas extrêmes où le père est « toxique » - alcoolique, maltraitant -, son absence totale est dommageable à l’enfant, quel que soit son âge. Le préjudice se fait sentir d’abord au plan affectif, mais aussi sur l’assiduité scolaire et l’équilibre de la personnalité, et plus encore si l’enfant ne trouve pas dans sa famille une figure masculine de substitution.
 
Pour autant, je ne crois pas au fameux « syndrome de carence d’autorité », selon lequel l’absence du père entraînerait fatalement pour l’enfant délinquance ou toxicomanie. Le plus souvent, il faut pour en arriver là invoquer d’autres éléments, la précarité socio-économique, l’échec scolaire et les influences défavorables de l’entourage. Cela n’empêche pas que l’importance de ce taux d’absence paternelle – près d’un tiers des cas ! – est préoccupante.
 
A cet égard, le principe de la résidence alternée, récemment réhabilité par la loi du 4 mars 2002 sur l’autorité parentale, vous semble-t-il un progrès ?
 
Le principe essentiel qui, idéalement, devrait régir la séparation, et que cette loi met également en avant, c’est celui de la coparentalité. Quels que soient les arrangements trouvés, ce qui importe pour l’enfant, c’est le maintien du double lien.
 
Dans cette logique de coparentalité, la résidence alternée peut être une bonne solution, à supposer que plusieurs conditions – géographiques, économiques, relationnelles – soient remplies et respectées par les parents. Quand tout cela s’organise bien, les enfants peuvent tout à fait y trouver leur compte, et leur père se sentir plus proche et plus responsable d’eux.
 
Propos recueillis par C.V
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Le Monde, 27 octobre 2004, p. 26


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