Maryse Jaspard, la magicienne des statistiques


 
Maryse Jaspard, la magicienne des statistiques
 
- maître de conférences à l’Institut de démographie de l’université Paris 1
- responsable de l’unité de recherche « Genre, démographie et sociétés » à l’Ined
- directrice scientifique de l’ENVEFF, Enquête nationale sur les violences faites aux femmes en France, 2000)
- auteure de
Les violences contre les femmes. Collection Repères, La Découverte, 2005
Je suis à toi, tu es à moi. Violence et passion conjugale. Payot, 2015

Maryse Jaspard est une chercheuse très policée (à qui il arrive pourtant de se trahir, on le verra ci-après). Jamais vous ne lirez d’elle une ligne dirigée directement contre les hommes. Elle se contente de mesurer, inlassablement, les « violences contre les femmes ». Quoique le sujet l’occupe tout entière, elle ne çède pas à la passion : elle n’est que chiffres, enquêtes, statistiques et réflexions approfondies. Noble projet, pense le commun des mortels, que cette défense obstinée des victimes. Mais pour qui la lit de plus près, l’impression est tout autre. Les chiffres sont douteux, les enquête biaisées, le discours tortueux. Le projet n’est pas de défendre les victimes d’un sexe, mais de désigner l’autre sexe comme bourreau. La misandrie est implicite, indirecte, et donc bien plus dangereuse.

 
En 2000, c’est son heure de gloire, avec la publication de l’ENVEFF, qu’elle a dirigée. L’enquête fait un tabac dans les médias, qui ne la lisent pas, ou superficiellement. Mais sa crédibilité est vite égratignée :
- en février 2003, l’enquête est analysée et pulvérisée dans un article des Temps Modernes par Marcela Iacub et Hervé le Bras (voir sous-rubrique « Violences conjugales »), qui mettent en évidence son caractère sexiste (les hommes ne sont pas interrogés), la non-fiabilité d’informations recueillies téléphoniquement sans aucune garantie, le mélange de références aux violences physiques et psychiques (non-objectivables), des définitions fantaisistes pour les violences psychiques
 
- ces objections sont reprises par Elisabeth Badinter dans Fausse Route, par L’Express dans un dossier spécial, par divers articles de presse, par Patrick Guillot dans La cause des hommes, etc.
 
- plusieurs enquêtes francophones (voir sous-rubrique « Violences conjugales »), viennent établir, ou, pour les initiés, confirmer la symétrie des violences conjugales : l’ Enquête Sociale Générale du Canada de 1999, puis 2004, 2009, 2014 - l’enquête suisse Bodenmann-Gabriel en 2004 - l’enquête BVA-L’Express->136 de juin 2005 (celle-ci prend même l’ENVEFF à son propre piège : en posant à des hommes les mêmes questions sur les violences psychiques, elle obtient les mêmes résultats !)
En 2005, du point de vue de la crédibilité, il ne reste plus rien de l’ENVEFF ni de sa directrice... « scientifique ». Mais les deux sont encore considérées avec révérence par les médias conformistes. C’est pourquoi Jaspard trouve l’aplomb de publier son livre, et de continuer à se présenter comme une spécialiste. Cet ouvrage n’apporte rien de nouveau, sinon, au fil des pages, un éclairage sur l’inconsistance de ses thèses, les techniques employées pour les faire fructifier malgré tout, et la misandrie qui, en arrière-plan, imprègne toute sa démarche. Ci-après quelques coups de projecteurs.
 
Aucune réponse aux objections
 
L’autosatisfaction semble chez Jaspard un trait de caractère dominant. Une fois pour toutes, elle a trouvé la vérité. Ni remise en cause, ni interrogation, ni même prudence sur la méthode ou les résultats obtenus. En particulier, jamais le contenu des déclarations téléphoniques n’est mis en doute ou relativisé. Régulièrement reviennent des formules sur le modèle « Les répondantes ont dit... », comme si leur parole tenait forcément lieu de réalité.
 
Mais surtout jamais les contestations, nombreuse et fortes, dont l’ENVEFF a été l’objet, ne sont envisagées. Sur les 122 pages, seules quatre lignes y font allusion : « En mai 2003, avant même la publication des résultats complets par la Documentation française, la polémique très médiatisée orchestrée par Elisabeth Badinter, lors de son essai antiféministe Fausse route, ravive le débat.  » (p.28). Elles sont ensuite évacuées. S’il y a eu « polémique très médiatisée » sur une base « antiféministe  », on s’attend pourtant à ce qu’elle en reprenne les termes, qu’elle réfute les objections. Mais en est-elle capable ?
 
Une technique : les chiffres magiques
 
p.28 : « Après l’engouement médiatique de l’an 2000, les conférences de presse tenues en 2001 et 2003 pour présenter des analyses détaillées des résultats connurent un succès mitigé. En revanche les deux chiffres emblématiques (50 000 viols, une femme sur dix victime de violences conjugales) sont très régulièrement mis en avant, dans tous les médias, sans que la source soit toujours citée. »
 
Ceci est très important : Jaspard ne cherche pas la réalité, mais des « chiffres emblématiques ». Nous préférons dire magiques, c’est-à-dire qui court-circuitent le raisonnement, et simplifient la réalité au point qu’on ne la voit plus. Elle sait que médias et public sont noyés sous les chiffres de toutes sortes, qu’ils ne prennent pas la peine de vérifier comment et par qui ils ont été obtenus, et qu’ils ne retiennent que ceux qui sont mathématiquement simples et frappent l’imagination. « 50 000 », « une sur dix » ou « dix pour cent », en voilà qui remplissent ces conditions. En voilà aussi qui suggèrent des équations immédiates : 50 000 viols = 50 000 violeurs, et « dix pour cent de femmes victimes = dix pour cent d’hommes bourreaux » (en la matière, une proportion énorme - si dix pour cent le sont réellement, il est tentant de penser que tous les autres le sont potentiellement).
 
En fait, il ne s’agit pas d’établir préalablement un questionnaire rigoureux, pour obtenir ensuite des résultats rigoureux. Les résultats sont préétablis : comme ils sont plus élevés que la réalité, il s’agit d’élargir le questionnaire autant que nécessaire pour les obtenir. Quitte à y faire entrer des comportements qui n’ont rien à voir avec les violences conjugales, à occulter les violences contre les hommes, etc.
 
Jaspard est scientifiquement inexistante, mais c’est une bonne technicienne de la manipulation d’opinion.
 
Une autre technique : prêcher la rigueur, laissser s’installer la confusion
 
p.35 : « Les agressions physiques ont été dénoncées par 2,5% des enquêtées, et une femme sur cent a subi des violences sexuelles. Ce rapide décompte montre l’inadéquation de l’expression « femmes battues », qui ne rend pas compte de la totalité des violences conjugales où les pressions psychologiques sont prépondérantes. Dans un contexte social prohibant la violence physique, les violences psychologiques apparaissent comme une forme moderne de la domination d’un sexe sur l’autre. »
 
C’est exact : l’enquête a comptabilisé 10% de femmes victimes de violences diverses, dont 2,5% de violences physiques, et 0,9% de violences sexuelles. Mais c’est bien le chiffre de 10% que le public a retenu, et il a retenu aussi l’expression « femmes battues », car c’est celle que les médias lui servent. (Pire encore : ils disent parfois tout simplement "femmes" et le public comprend que 10% des Françaises sont battues, pas seulement celles qui sont en couple !)
 
Jaspard connaît très bien ces confusions, et elle ne fait rien pour les faire rectifier. Le public croit donc que les 10% sont victimes de violences physiques. En fait elle utilise à fond le confusionnisme moderne de l’information. On n’est pas près de la voir à la télévision pour recadrer et repréciser tout cela !
 
Les violences psychologiques, une « forme moderne » ? Gratuit et absurde. Il s’agit de faire croire que les hommes violents osent moins passer à l’acte à cause des nouvelles lois, et qu’ils se replient sur les violences psychologiques ! Ce qui sous-entend qu’ils étaient encore plus nombreux à frapper avant les lois ! Pas le début d’une preuve, évidemment.
 
Une thèse implicite : les violences contre les hommes sont légitimes
 
Gênée aux entournures par les travaux mettant au jour les violences féminines, Jaspard martèle : elles sont « réactionnelles  » et «  défensives  », autrement dit... justes.
 
p.100 : « parmi les victimes d’agressions physiques, 35% tentent d’échapper aux coups en s’enfuyant, 27% les rendent. »
 
...Et peut-être tapent-elles alors encore plus fort ! Mais si elles rendent les coups, sont-elles encore des victimes ? Il faudrait les enlever du décompte.
 
p.100 : « Dans l’enquête canadienne EGS, les taux de violence entre conjoints hommes et femmes sont proches, mais ces dernières déclarent plus souvent des violences plus graves » 
 
Il s’agit de l’enquête canadienne évoquée plus haut. Si cette enquête, du même type que l’ENVEFF, mais qui interroge aussi les hommes victimes, réalisée dans une société comparable à la société française, conclut à la symétrie des violences, c’est tout le choix méthodologique sexiste de l’ENVEFF qui est mis en cause. Cela devrait faire l’objet d’un chapitre complet dans le livre.
 
Les victimes femmes « déclarent » (encore ! ) « des violences plus graves » ? Et alors ? Les victimes hommes deviennent-elles pour cela inintéressantes ?
 
Une autre thèse implicite : mesurer la victimation masculine n’est pas idéologiquement correct
 
p.102 : « Mais, signe des temps, réflexe de survie de la société patriarcale, les recherches sur les hommes victimes de violence conjugale se développent. »
 
Encore un raisonnement difficile à comprendre : s’il y a des hommes victimes, c’est justement que la société n’est pas aussi patriarcale que des gens comme Jaspard veulent bien le dire. Mais comment pourrait-elle renoncer au dogme ?
 
S’il y a des hommes victimes (ce qui a été cent fois démontré), il faut évidemment qu’il y ait des études sur eux. A moins qu’en tant qu’hommes, ils ne soient pas dignes d’être entendus, aidés, préservés... c’est manifestement le point de vue de l’auteure.
 
Un alibi : démolir les confrères
 
Toujours satisfaite d’elle-même, Jaspard est impitoyable avec certains de ses confrères, dont les méthodes sont tout aussi incertaines que les siennes, mais pas plus. Elle cherche sans doute à obtenir, à leurs dépens et à peu de frais, un brevet de rigueur. A cet égard, la lecture du texte « Mortalité conjugale : des chiffres insensés », est un régal, le seul ingrédient positif de l’ouvrage. Elles y stigmatise les travaux rapport Henrion, rapport du Conseil de l’Europe - d’inspiration tout aussi misandre qui prétendent décompter les femmes mortes des suites de la violence conjugale, en employant des termes qui pourraient très bien s’appliquer à elle-même « S’appuyant sur des sources incertaines, les politiques et les ONG ont diffusé des statistiques improbables » - « inanité de ces allégations reprises sans discernement par nombre de personnes publiques ». Merci à elle de conforter les analyses que nous faisons depuis des années !
 
Elle exprime son scepticisme quant à la possibilité de mesurer un jour le phénomène de manière satisfaisante. Cela est pourtant désormais réalisé, par le Recensement national des morts violentes survenues au sein du couple en 2003 et 2004. Ici, on est dans l’objectif, et comme les morts masculines sont aussi comptabilisées (ça change !), l’ampleur des violences contre les hommes apparaît de manière irréfutable. Ainsi, même s’il ne peut prendre en compte les suicides (toujours plus nombreux chez les hommes), le Recensement comptabilise-t-il 22% de morts d’hommes. La preuve est faite... Quel est son commentaire ? 
 
Patrick Guillot, décembre 2005
 
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mars 2015
 
Jaspard publie Je suis à toi, tu es à moi. Violence et passion conjugale.
 
Dans le chapitre lll, une partie s’intitule La violence conjugale en chiffres (p. 116-131) : il n’y est question que des chiffres de l’ENVEFF, donc exclusivement des victimes féminines.
 
Le chapitre IV s’intitule Viol conjugal, violence procréative. La partie Le viol conjugal (p. 131-40) n’envisage que les victimes féminines. Ce qu’elle entend par "violence procréative" ne concerne que les mères, et non les paternités imposées comme on pourrait pu (naïvement) le penser.
 
Le chapitre VI s’intitule L’enjeu du chiffrage :
 
- il contient une partie Le harcèlement moral a-t-il un sexe ? (p. 204) Jaspard évoque l’enquête réalisée par Elisabeth Badinter en 2003 pour le compte de L’Express, qui avait consisté à poser à des hommes les questions de l’ENVEFF sur les violences psychologiques. Elle semble gênée par le fait que les réponses des hommes ont été alors les mêmes que celles des femmes. Du coup, elle suggère que ce genre de violence diffère en fonction du sexe : on croit comprendre que la violence féminine serait de l’ordre de la réaction, donc légitime, mais ça reste assez nébuleux.
 
- une autre partie s’intitule Nouvelle donne, nouvel enjeu (p. 206). Enfin, au bout de 200 pages, il est question des enquêtes ONDRP, postérieures à l’ENVEFF, et qui se succèdent chaque année depuis 2007 ! Comme ces enquêtes ont confirmé avec éclat l’inanité de l’ENVEFF, on se doute qu’elle ne les aime pas. C’est ce qu’elle dit, mais sans jamais expliquer le fait que l’ONDRP trouve chaque année dix fois moins de victimes féminines que l’ENVEFF, et qu’elle trouve un tiers d’hommes au sein de l’ensemble des victimes. C’est toujours aussi nébuleux : elle semble reprocher à l’ONDRP de ne pas mesurer les violences psychologiques (ce qui représente au contraire un effort de rigueur), elle est "inquiète" (de quoi ? de la progression de la vérité ?)
 
- et une autre partie s’intitule L’ENVEFF, catalyseur de l’antiféminisme. Elle en veut beaucoup à Elisabethh Badinter qui s’en est pris à l’ENVEFF dans Fausse route (mais ne cite pas l’étude d’Hervé Le Bras qui est antérieure et dont Badinter s’est inspirée). Elle dénonce les critiques mais y répond-elle ? Non, bien sûr, elle ne l’a jamais fait. Elle les explique par l’"antiféminisme" : c’est bien la seule échappatoire qui lui reste !
 
Récapitulons :
- ce livre de 319 pages sur la violence conjugale ne contient aucune considération sur les hommes victimes, ne cite aucune des nombreux estimations chiffrées les concernant (alors qu’il en existe à l’étranger depuis vingt ans et en France depuis sept ans), ne cite aucun des nombreux témoignages fournis par ces victimes ni aucun des auteurs ayant étudié leur condition.
 
- de même, son auteure s’appuie encore sur une étude vieille de plus de dix ans, discriminatoire en fonction du sexe, qui a fait l’objet de critiques majeures. Et rejette toutes les enquêtes menées depuis, bien qu’elles soient non-sexuées et beaucoup plus rigoureuses.
Si ce n’est pas le comble du dogmatisme et de l’obscurantisme, qu’est-ce que c’est ?
 
 
 

 



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